Bolivie : la fabrication des vins d’altitude

Paru le 01/10/10 dans Science Actualités

En Bolivie, on cultive la vigne depuis le XVIe siècle. Héritage des colons espagnols et des missionnaires catholiques, le vin bolivien avait jusqu’à peu encore, une réputation de piquette et de vin de messe qui le cantonnait à une production très locale. Désormais, il dispose de bons crus, à l’instar des vins chiliens, argentins ou brésiliens.

 

Les vins les plus hauts du monde

 

 

Comme tous ces vins sud-américains, le vin bolivien est issu de vignobles d’altitude… et non des moindres. Les raisins des vallées de Tarija et de Cintri sont en effet perchés entre 1700 et 3000 mètres d’altitude. Conséquence immédiate : une plus forte exposition aux rayons ultraviolets, à l’origine d’une très forte concentration en arômes et en couleurs.

 

Portrait de François Thorez

Quels sont les effets de l’altitude sur le vin ? (audio malheureusement disparu du site de la csi)

 

Durant le cycle de maturation du raisin, l’action des rayons ultraviolets sur les grappes est plus intense, ce qui pourrait, selon les scientifiques qui tentent de comprendre le phénomène, modifier la photosynthèse habituelle de la plante en favorisant notamment la synthèse d’un grand nombre de molécules odorantes et de précurseurs d’arômes à l’état libre : polyphénols, flavonoïdes, resvératrol et anthocyanines. Car les dosages réalisés sur les raisins révèlent de plus fortes concentrations de ces substances.

Pour que le vin bolivien soit commercialisé, il fallait une volonté politique capable de fédérer la production viticole en une appellation contrôlée nationale, « vinos de Bolivia » (vins de Bolivie) reconnue sur le marché international, ainsi que des moyens financiers pour moderniser la production. Grâce à la FAUTAPO, une fondation soutenue par les Pays-Bas depuis 2006, près de 45 millions de dollars (34 millions d’euros) ont pu être investis dans le développement de la vinification. De quoi équiper les « Bodegas », nom espagnol des domaines viticoles, en matériel dernier-cri (cuves, tonneaux…) et mener quelques études scientifiques.

(DIAPORAMA  … malheureusement disparu du site de la csi)

La cartographie au secours de la viticulture

 

Le fait est empiriquement connu depuis longtemps, ne serait-ce que par les quelque 2 000 familles qui vivent de la culture du raisin dans la région : dans la vallée de Tarija, qui s’étend sur une superficie de 332 521 ha, pour la culture de la vigne, toutes les terres ne se valent pas. Certaines produisent plus de raisin tandis que d’autres sont plus sensibles à certaines maladies de la vigne. Comment les distinguer ?

Dans le cadre du programme étatsunien d’observation planétaire des terres agricoles maintenu par la Nasa depuis 1972, des satellites sont envoyés régulièrement dans l’espace pour quadriller les terres cultivables de la planète. Le dernier en date, LANDSAT 7, a permis le quadrillage de la vallée de Tarija en 84 zones caractérisées ensuite selon leurs données microclimatiques (humidité, température), géomorphologiques (composition et dureté des sols), physicochimiques (pH, teneur des sols en carbonates et oligoéléments) et topologiques (altitude, pente).

 

carte de la vallée de Traija

Carte de la vallée de Tarija

 

« Pour déterminer tous ces critères, près de 700 analyses de sol ont été nécessaires, ainsi que les relevés de température, de pluviométrie et de récoltes (maladies, rendement….) réalisés au cours de ces quarante dernières années », explique Luis Antelo, responsable du développement du marché à la FAUTAPO. La détermination de tous ces critères a permis d’identifier les terres les plus propices à la culture de la vigne.

Ainsi, sur les 332 521 ha étudiés, seulement 11 705 ha présentent une aptitude correcte ou moyenne à la culture de la vigne, 79 770 une aptitude limitée et 241 046 ha une aptitude très limitée voire aucune aptitude. Au-delà de l’intérêt scientifique, les enjeux économiques sont importants : en déterminant avec précision quelles terres sont supposées donner les rendements annuels les plus élevés en raisin, on peut fixer une valeur aux terrains agricoles et au raisin qui y pousse… ou acquérir sans risque de se tromper les meilleures parcelles.

Les mystères des vins d’altitude

Le changement climatique a-t-il aussi un impact sur la culture du vin ? (audio malheureusement disparu du site de la csi)

 

Les vins d’altitude sont dotés de propriétés physicochimiques uniques : ils sont beaucoup plus chargés en alcool que les vins habituels, et surtout, ils vieillissent plus vite. Au point qu’une œnologue espagnole, Isabel Mijales, les qualifie de « jeunes avec des têtes de vieux ». François Thorez, œnologue français qui fait du vin depuis dix-sept ans en Bolivie, précise que ces vins acquièrent en 2-3 ans des familles aromatiques complexes, qui ne se retrouvent habituellement que dans des vins de très haute gamme en Europe que l’on aurait pris soin de laisser vieillir longtemps. « Tout cela est empirique, mais soutenu par quelques 17 ans d’expérience, modère-t-il. En effet, je dirai qu’en 2 ans, nous atteignons l’équivalent d’un « Grand cru » de 8-12 ans ou d’un « Barolo » (italien) de 10-15 ans… ! »

Les mécanismes selon lesquels ces vins d’altitude acquièrent leurs particularités sont loin d’être encore élucidés. Leur teneur élevée en polyphénols est sans doute un élément clé. Mais pour le moment, aucune étude scientifique n’a été réalisée. Les polyphénols font bien l’objet de l’attention des scientifiques du CENAVIT (Centro Nacional vitivinicula), le centre bolivien d’études viticoles, mais c’est surtout parce que ces composés sont réputés bénéfiques pour la santé, ce qui constitue un argument supplémentaire de qualité à mettre sur l’étiquette. Un programme d’analyse comparée entre vins boliviens et vins argentins, chiliens et européens vient d’ailleurs de démarrer avec un premier envoi d’échantillons de vins boliviens à l’Institut national de viticulture (Argentine).

 

La science du vin

 

En attendant, le succès des vins boliviens ne s’est pas fait attendre. Les Trivarietal 2003 et 2004 de la Bodega Campos de Solana ont reçu plusieurs médailles internationales : le Trivariétal 2006 de la Bodega Casa Grande a été primé aux Vinalies Internationales 2009 de Paris ; et le nouveau cru du Château del Inca a obtenu la médaille d’or aux Vinalies 2010 !

Point commun entre ces trois Bodegas : le même œnologue, François Thorez. Et l’art de l’assemblage : en effet, un vin se fabrique en réalisant des assemblages de plusieurs cépages. Le Trivarietal, comme son nom l’indique, est un assemblage de 3 cépages différents (Cabaret-Sauvignon, Malbec et Merlot). Tout comme les crus du Château del Inca, initiés depuis 2004… et les vins français, même si ce n’est pas spécifié sur l’étiquette. À l’instar du Châteauneuf-du-Pape qui est par exemple un assemblage de 13 cépages différents !

Cette opération cruciale qu’est l’assemblage des vins tient-elle plus de l’expérience olfactive et organoleptique de l’œnologue capable de mélanger les bonnes concentrations d’arômes… que de l’analyse chimique ? En y regardant de plus près, un bon cru est un mélange réussi de quelques cépages et de plus de 3 000 molécules aromatiques différentes. Pour le réussir, le nez et le palais semblent encore et toujours être des alliés plus sûrs que les formules chimiques !

 

Posted in Book.