La mort en ligne

(Paru dans Alternative-Santé L’impatient en août 2010)

 

La scène se déroule dans une cuisine. Un homme vient de recevoir son courrier. Parmi les enveloppes, une pochette kraft, à l’intérieur de laquelle se trouve une boîte de comprimés. L’homme en sort un et l’avale avec une gorgée d’eau. À peine quelques secondes plus tard, le voilà qui semble comme pris de spasmes. Il attrape une sorte de ver qu’il tire de sa bouche, et qui pour finir s’avère être un rat tout entier, que notre homme jette, dégoûté sur le carrelage, mort, en étant lui-même pris de spasmes. Commentaire : « De la mort au rat, c’est tout ce que vous risquez de trouver comme poison dans les médicaments que vous achetez sur internet ». Ce spot, diffusé sur la télévision britannique, a été réalisé en 2009 par des laboratoires pharmaceutiques et des instances officielles afin d’alerter sur un danger réel pour les consommateurs : hors circuits autorisés, les médicaments peuvent être extrêmement dangereux. Notamment parce qu’il est impossible de contrôler leur composition comme dans les circuits de contrôle officiel.

Ou tout simplement parce qu’ils ne contiennent parfois même pas de principes actifs !

En France, l’AFSSAPS(Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) a publié une mise en garde en janvier 2006 contre la vente en ligne de médicaments et les dangers qu’elle représente pour les consommateurs :mauvais usage des médicaments, charlatanisme mais aussi contrefaçon…

Un recensement alarmant

Pour autant, les consommateurs internautes ont du mal à résister à l’attraction des prix qui peuvent être10 fois moins chersqu’en pharmacie… Qui n’a jamais reçu dans sa boîte électronique un spam poussant à acheter du Viagra,ou une pilule amincissante à des prix défiants toute concurrence et cela, en seulement un clic… etsans d’ordonnance ?Exemple : le «Venom Hyperdrive 3.0 »,un produit amaigrissant vendu sur Internet. Fabriqué aux USA, ce produit ne fait l’objet d’aucun contrôle par les autorités sanitaires. Sa commercialisation est même illégale car il contient une substance active, la sibutramine qui n’est même pas mentionnée sur l’étiquette ! Or ce principe actif est soumis à prescription médicale et nécessite un suivi régulier des patients traités, en raison du risque de survenue d’effets indésirables cardiovasculaires, notamment une augmentation de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque. Ce qui circule sur internet étant pour le moins hasardeux,INTERPOL et un Groupe spécial international anti-contrefaçon de produits médicaux (IMPACT) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont lancé du 16 au 20 novembre 2009 dans le monde entier l’Opération Pangea II, une semaine internationale d’action contre la vente de médicaments illicites et de contrefaçon sur Internet.Résultat : une série d’arrestations et la saisie de milliers de produits médicaux potentiellement dangereux . Au final, 751 sites internet vendant des médicaments habituellement délivrés sur ordonnance, 16 000 colis interceptés aux douanes, dont 995 colis avec près de 167000 comprimés de contrefaçon et de médicaments placés sous contrôle ou devant être délivrés uniquement sur ordonnance !

Des faux médicaments

D’après le Forum des droits sur Internet (FDI), un médicament sur cinq (20%) serait contrefait. Cette proportion atteint, selon le dernier rapport de l’EAASM (Alliance européenne pour un accès à des médicaments sûrs), 60 % des médicaments vendus en ligne !On remarquera que les fondateurs de l’EAASM sont (s’en étonnera-t-on !) de grands laboratoirespharmaceutiques, mais il n’en reste pas moins que l’achat de médicaments sur internet est un pari à haut risque.Généralement, les médicaments préférés des contrefacteurs sont bien évidemment ceux soumis à prescription médicale comme les anxiolytiques, antidépresseurs, anti impuissance… Les médicaments les plus contrefaits au monde sont sans doute le Viagra et le Prozac. Sur le web, pas moins de 7 millions de pages d’annonces proposant des faux comprimés de Viagra à la vente ont été recensées sur Internet et 5 millions de pages pour le Prozac ! Le faux médicament ne contient pas de composé actif, peut être sous dosé, contenir des produits périmés ou inadaptés. En France, en ce qui concerne l’achat sur internet, le Code de la santé publique est flou. La vente à distance de « produits de santé » n’est pas interdite mais n’est pas pour autant autorisée. Celle de médicaments est en tous cas uniquement réservée aux pharmaciens. Mais du côté des pharmaciens français, la perspective d’une pharmacie en ligne est illusoire ! Cette année, elle a d’ailleurs fait l’objet du « poisson d’avril » de supergelule.fr, le site internet des jeunes pharmaciens français. Dans l’Union européenne, l’achat de médicaments en ligne est autorisé sur le marché et ne requiert pas forcément de prescription médicale. De même que pour tout dispositif médical marqué CE. Des cyberpharmacies et cliniques en ligne se sont donc développées.Là encore, méfiance ! Le Forum des Droits Internet recommande de vérifier l’identité, la nationalité et la qualité de professionnel de santé du pays d’origine. Vérifiez par exemple que le cybermarchand donne bien son adresse postale et son numéro de téléphone.

DHEA et plantes médicinales

La DHEA,  « hormone de jouvence » , qui n’est pas vraiment un médicament, est l’une des stars de la vente sur internet : il n’y a pour s’en convaincre que de taper DHEA dans un moteur de recherches, on obtient en deuxième position un site qui propose l’hormone à la vente sans parler d’une dizaine de liens publicitaires… Or certains escrocs profitent de ce créneau juteux pour vendre tout simplement de la farine à la place de l’hormone miraculeuse : c’est ce qu’a confirmé le professeur Beaulieu lui-même (le « père de la DHEA »), après avoir analysé le contenu de boîtes de DHEA en provenance des Etats-Unisvendus sur le net.

De même, les plantes médicinales « exotiques » telles que le maca contre l’impuissance ou le hoodia godonil contre l’obésité font l’objet d’un actif commerce en ligne, avec des conditionnements non standardisés et une traçabilité qui ne peut être qui n’est pas toujours garantie. D’autant que ces plantes, n’ayant pas reçu d’autorisation de mise sur le marché (AMM), voire même des avis défavorables de l’AFSSA (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments), sont interdites à la vente en France. Ce qui explique d’ailleurs que la plupart des sites internet mettant à disposition ces produits soient situés à l’étranger !

Autre exemple, les herbes ayurvédiques,utilisées dans le cadre de l’Ayurveda, la médecine traditionnelle indienne. Là encore, méfiance, car elles ont fait l’objet d’une étude scientifique publiée dans une revue spécialisée américaine de médecine : le Dr Robert Saper de Boston a acheté 230 échantillons de plantes médicinales sur Internet, aussi bien sur des sites indiens qu’américains. Après analyse, il en ressort que plus d’un sur cinq présente « des concentrations supérieures jusqu’à 10 000 fois aux doses limites admises par les autorités », des trois métaux : arsenic, plomb, mercure. Comment faire confiance aux éditeurs des sites en questions ? Peut-on seulement se fier aux « bonnes pratiques de fabrication »mises en avant, quand on sait…que 75% des sites internet les revendiquent ? Résolument, sur Internet, médicament comme plantes médicinales sont synonymes de danger.

 

Ce que dit la loi : quels sont les produits autorisés à la vente en ligne ?


Selon l’avis du 5 février 2005, du Conseil national de la concurrence, certains produits, « sous réserve de garanties en matière de santé » peuvent être enlevés des monopoles pharmaceutiques, et donc commercialisés légalement dans tous les circuits de distribution, internet y compris donc ! 

-les produits désinfectants, 

-les bains de bouches, 

-les autotests de grossesses, 

-les pansements,

-les vitamines,

-les produits anti-poux, 

-le sérum physiologique

-les produits d’entretien des lentilles de contact. 
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