La Quinoa , victime de son succès ?

Depuis quelques années, la quinoa séduit les consommateurs du monde entier soucieux de leur santé. Produite traditionnellement selon tous les critères de l’agriculture biologique, elle met pourtant en péril le développement durable des terres de l’altiplano bolivien où elle est cultivée ! 

 

Au mois d’avril,  lorsqu’elle est mûre, la quinoa forme des épis qui peuvent atteindre deux mètres de haut. Depuis toujours, on les cueille à la main. Une fois séchés, ils sont fagotés et déposés en ligne sur une grande toile. On les bat pour en faire tomber les grains, qui mesurent 2mm de diamètre environ. Avant de les trier des débris des tiges (que l’on utilisera comme combustibles), et de les ventiler, toujours manuellement,  au moyen d’un récipient en forme d’assiette, que l’on remplit patiemment et que l’on égraine. Enfin, ils sont grillés pour en permettre une cuisson plus rapide, écorcés pour en enlever la petite peau de saponine qui leur donne trop d’amertume et enfin , lavés. Ces méthodes de production, qui restent longues et coûteuses , sont on ne peut plus traditionnelles : c’est ainsi que les agriculteurs andins cultivent la quinoa depuis près de 7000 ans…

 

Un aliment complet

La quinoa (ou plutôt le quinoa, « mère des céréales » en quechua) , de son nom latin  Chenopodium quinoa Wild est une plante cultivée par les indiens Aymaras et Quechuas, dont elle constituait avec la pomme de terre, la nourriture essentielle. Cette céréale traditionnelle hautement nutritive présente  une variété d’espèces considérable. On en connaît surtout trois variétés : la blanche, la rouge et la noire. Sa composition nutritionnelle exceptionnelle, notamment sa grande richesse en protéines, en fait un substitut idéal à la viande. Sa composition équilibrée en acides aminés rendrait même la quinoa comparable en valeur nutritionnelle au lait maternel. De plus, elle contient tous les acides aminés nécessaires à la vie humaine, en quantités mieux équilibrées que dans le riz , le mais ou le soja, ainsi que de nombreuses vitamines telles que la B1, la B2, la C mais aussi des minéraux tels que le calcium, le fer, le phosphore et le magnésium. En outre, elle est riche en fibres et en acides gras insaturés, avec seulement 10% d’acides gras saturés.  On prête aussi à la quinoa un grand nombre de propriétés médicinales. La  mythologie la fait apparaître sur terre comme étant le reste d’un repas des dieux et elle est depuis toujours associée à un aliment d’immortalité. Plusieurs études scientifiques parues en 2007 ont confirmé l’activité anti-oxydante élevée de plusieurs extraits de graines, ainsi que la présence de deux phyto-stéroïdes susceptibles de jouer un rôle dans la prévention du cancer. Bien d’autres propriétés médicinales lui  sont reconnues : on l’utilise traditionnellement contre les infections urinaires ou les angines, les cirrhoses ou  les hépatites, en analgésie dentaire, pour faire tomber la fièvre… Des études scientifiques ont souligné récemment la teneur en phyto-oestrogènes de la quinoa, qui en ferait une plante particulièrement indiquée aux femmes durant la ménopause.  Au moins autant que le soja… risque de cultures transgéniques en moins !  De plus, la quinoa n’a pas de gluten, ce qui en fait un aliment de choix pour toutes les personnes atteintes de maladie cœliaque.

 

 

Un succès mondial

À ces qualités nutritionnelles exceptionnelles, s’ajoute une grande plasticité qui lui permet de pousser dans des conditions difficiles : c’est en effet l’une des rares plantes à pouvoir pousser sur des sols salins et arides , à 4000m d’altitude, sans craindre de basses températures ! Rien d’étonnant qu’une telle plante, de haute valeur nutritionnelle, et capable de pousser dans des conditions aussi extrêmes soit considérée comme une céréale stratégique, dont la culture est vivement encouragée, même par les Nations-Unies. Les américains ont commencé à s’y intéresser dès les années 60 en la cultivant dans les montagnes du Colorado. Depuis, la culture de quinoa se développe dans le monde entier, des alpes autrichiennes  au Mont Sinaï, en passant par les contreforts himalayens ou les immenses étendues du désert de Gobi en Chine. Mais rien ne semble remplacer, tant au niveau des rendements que de la qualité nutritionnelle, la quinoa Real (du mot espagnol qui signifie « réel » , (et non « royal  » !)) , celle de la zone intersalar de l’altiplano bolivien . Une spécificité qui explique le prix d’or auquel se vend aujourd’hui la quinoa au marché de Chayapata ! En l’espace de 3 ans, les cours ont doublé, en partie doppés par l’entrée de la quinoa dans le marché occidental de la grande distribution. La quinoa se négocie aujourd’hui autour de  75 euros le quintal (46kg). (Soit plus que le quintal d’étain, autre richesse du pays ! ) Les premiers  bénéficiaires de cette hausse sont bien sûr les nombreux  boliviens qui se sont lancés dans la culture de quinoa (40 000 familles selon le ministère). Mais ce prix est tellement élevé que la quinoa est devenue un produit de luxe pour la majorité des boliviens, y compris pour les producteurs eux-mêmes, qui préfèrent tout vendre… et acheter des pâtes américaines. La tendance n’est pas prête de s’arrêter : Javier Guisbert, coordinateur de gestion territoriale indigène du ministère de la terre précise que le marché total de la production de quinoa représente aujourd’hui 14 millions de dollars, et qu’il pourrait au moins doubler à l’horizon 2018. Sans compter qu’explosion des cours oblige, la contrebande  fait rage  avec le Pérou voisin : l’an passé, des estimations officielles ont fait état d’une « fuite » de l’ordre de 30 à 40 % de la production, acheminée par camions entiers de l’autre côté de la frontière par de petites entreprises officiellement crées!

 

Mais des problèmes sociaux et environnementaux…

D ’un point de vue politique, cette «  ruée vers le grain d’or », interpelle quant à ses conséquences sur les organisations sociales, confrontées à d’inévitables conflits de territoire. En Bolivie, la gestion des territoires (les ayulls, ou territoires indigènes aymaras) est le fait d’« autorités ancestrales », distinctes des autorités administratives. Officiellement, pas de cadastre : la terre, en Bolivie, est propriété de la communauté qu’elle délimite, même si l’usufruit en revient à celui qui la travaille.  Les communautés des ayulls sont constituées de familles qui comme partout ailleurs dans le monde ont pu cherché un avenir meilleur dans les villes… Le succès de la quinoa leur a rappelé l’existence de leurs terres. Et des familles qui étaient parties des campagnes , sans pour autant  retournées aux travaux agricoles , se sont mises à gérer leurs champs de quinoa par téléphone depuis les villes, en employant des « péons » (ouvriers agricoles). Au sein des ayulls, les terres se répartissent aujourd’hui entre des permanents et de simples «  résidents », qui ne prennent  part que de très loin aux réflexions communes  sur la gestion des territoires. S’ensuivent, on imagine, quelques tensions… Résolument, l’union fait la force et il semble que la solution réside  dans le principe d’une organisation collective des producteurs, partie prenante et acteurs de leurs développements.  Plusieurs coopératives se sont ainsi créées, telles que CECAOT (Centrale de Cooperative Opération Terre), l’AOPEB (Association des Organisations de Producteurs Écologiques de Bolivie), Bolicert ou bien encore l’ANAPQUI (Association Nationale des Producteurs de Quinoa). Cependant, l’explosion récente des cours de la quinoa sur le marché international amène des industriels à « soudoyer » certains petits producteurs membres des coopératives. À première vue, ces industriels semblent respectueux des critères du commerce équitable ,  proposant même un prix d’achat légèrement  supérieur  aux cours du marché , sans autres contraintes. Romain Valleur, d’AVSF-Pérou (Agronomes et Vétérinaires sans frontières ), chargé d’évaluation par la plateforme française du commerce équitable d’une étude d’impact du commerce équitable de la quinoa,  rappelle que le commerce équitable n’est «  pas qu’une question de prix versé aux producteurs », mais  doit « contribuer réellement  au développement économique global de la région de production ».

 

Un développement durable ?

Autre point d’alerte : l’extension de la frontière agricole  depuis  les années 60. Les paysans de l’Altiplano ont augmenté les surfaces de culture. Ils se sont mis à cultiver les plaines, aidés par les tracteurs… et par le réchauffement climatique (la culture en plaines était auparavant limitée par un risque très élevé de fortes gelées). Ils ont peu à peu abandonné l’élevage de lamas et de moutons, dont les excréments étaient jusqu’alors les fertilisants naturels. Ils ont  de plus en plus recouru aux tracteurs pour les  récoltes et pour les labours, avec pour effet une érosion  des sols… Un paradoxe inattendu pour des techniques qui restent néanmoins plus proches des critères l’agriculture biologique que de ceux de l’agriculture conventionnelle ! Depuis quelques temps, des ONG sur le terrain agissent pour instaurer des pratiques plus durables. L’usage du tracteur est découragé, lors de la cueillette, les racines (qui peuvent atteindre jusqu’à 1m80 de profondeur !) sont laissées en terre,  des barrières vives sont plantées, on fait aussi très attention au sens des sillons… à respecter des temps de jachère, avec des cultures tournantes, sans intrants . Et même la  plupart des industriels ont intégré ces exigences dans leurs cahiers des charges.  Cela suffira-t-il ?, Selon Manuela Vieira Pak de l’IRD (Institut Recherche Développement) qui participe avec d’autres spécialistes du développement à étudient le phénomène au projet EQUECO (émergence de la quinoa dans le commerce mondial), «  les indiens ne voient pas l’avenir particulièrement en rose. Bien conscients que tout à une fin, ils envisagent même dans une échéance assez proche la fin de la fertilité de leurs terres. Qui peut dire si le combat des nombreuses ONG pour  mettre en place des méthodes plus durables  inversera la tendance ? Encore faudrait-il que l’on sache quoi faire ! Or les connaissances scientifiques sur les capacités de régénération des sols  sont pour le moins incertaines ». Ainsi, rien ne garantit que  la jachère de 2 ans préconisée soit suffisante pour reconstituer les sols : certains scientifiques disent qu’il faudrait 50 ans ! Que faire ? Il va sans dire qu’une chute des ventes de la quinoa entrainerait une ruine certaine de cette région du monde. Sur les étals, la quinoa continue de trôner, forte d’un succès qui n’est pas près de faillir. En tant que consommateurs bienveillants, à nous de savoir quelle quinoa choisir pour contribuer à soutenir une quinoa réellement labellisée commerce équitable. Sur ce point, faute d’un label univoque, les critères de l’organisation FLO (Fairtrade Labelling Organization) qui incluent les aspects sociaux, économiques et environnementaux liés au commerce des petits producteurs semblent , de l’avis de tous, demeurer seule référence réelle en la  matière.

 

 

 En savoir plus

 

Fairtrade Labelling Organization FLO

http://www.fairtrade.net/search0

 

AVSF

Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières

58, rue Raulin

69361 LYON Cedex 07

Tél 04 78 69 79 59

http://www.avsf.org/

 

 

 

ENCADRE  – Valeur nutritionnelle de la Quinoa

 

Valeur énergétique            390 Kcal

Hydrates de carbones        72g

Protéines                             22g

Fibres                                      4g

Lipides                                9,5g

Acides gras saturés         11%

acides gras insaturés      89%

 

Acides aminés (g/100g)

Histidines  2,7 g

Isoleucine  6,4 g

Leucine  6,8 g

Lysine  6,6 g

Threonine 4,8 g

Tryptophane 1,1 g

Valine 4,8 g

Arginine 7 g

Phenylalanine 4,6 g

Tyrosine 3,8 g

Méthionine 2,4 g

Cystine-cystéine 2,4 g

 

Vitamines

B1 30mg,

B2 28mg

B3 7 mg

C  3mg

Sels minéraux

P 530mg

Ca 130 mg

Fe 20,5 mG

Mg 260 mg

K 870mg

 

Selon le rapport  2008 de la PROINPA fondation

 

 

Le Quinoa est de la même famille que l’amaranthe, la bettrave sucrière ou l’épinard. C’est une pseudo céréale (les céréales appartiennent habituellement à la famille des Poacea) dont les plants varient de 0,5 à 2 m de haut.


 

 

 

 

 

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