Inde : à la poursuite du diamant vert ?

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Sur fond de certification environnementale et de promesses écologiques, la récente réouverture de la mine de diamant de Mahjgawan nargue les lois indiennes et les associations de protection de la nature… en validant les prospections du géant minier américain Rio Tinto.

Dans l’état du Madhya Pradesh (Inde), la mine de Mahjgawan, la plus grande mine de diamant mécanisée d’Asie, a du mal à se refaire une réputation. Sécurisée comme une zone militaire (personne n’y est même autorisé à faire des photos), elle ne manque pas de revendiquer son caractère « eco-friendly ». Des panneaux, écrits et dessinés à la main, sont là pour affirmer que l’écologie est ici une priorité : sur l’un deux, une main porte la planète terre, qui saigne, sur un autre, on peut lire, en anglais, que le personnel du site bénéficie d’un programme d’éducation à l’environnement.  Pourtant, ici, on semble toujours extraire le diamant comme au début du siècle dernier,  en saignant l’unique filon diamantifère à grands coups de dynamite. Les montagnes de cailloux de kimberlite — la roche volcanique qui contient les diamants — sont ensuite ramassées au bulldozer et mises à sécher au soleil pendant plusieurs mois. Puis, on concasse la roche devenue plus friable dans des presses mécaniques, avant de tamiser les poussières de l’ensemble pour en extraire directement les diamants.

Un désastre maquillé de vert

Si l’incidence des diamants est faible (une petite dizaine de carats* pour une centaine de tonnes de kimberlite), les conséquences de leur exploitation sont colossales, à l’image du trou de près d’un demi-kilomètre de diamètre sur plus de 100 m de hauteur creusé par l’extraction minière sur ce site. Au fond du trou, un lac d’une dizaine de mètres de profondeur témoigne que l’on a atteint les ressources souterraines d’eau.

Même si Rajeev Wadhwa, l’ingénieur géologue en chef responsable de la mine, explique que « cette eau vient… du ciel, le trou faisant office de citerne de récupération d’eau de pluie ! » ** ! Pourtant, l’exploitant de la mine, depuis 1995, est… la compagnie minière gouvernementale, la NMDC (National Mineral Development Corporation). Malgré une norme ISO 14001 acquise en 2004 et une communication soucieuse de l’environnement, le Diamond Mining Project n’a pas su faire oublier que la mine se trouvait en plein milieu d’une réserve de tigres, au cœur du parc national de Panna.

Sa certification n’a d’ailleurs pas suffi à duper le bureau de contrôle de la pollution (le Pollution Control Board) : en juillet 2005, la mine a été fermée du jour au lendemain pour non-conformité avec les normes environnementales. Et son illégalité. Car, depuis 2002, une loi indienne interdit les activités minières dans les aires protégées. Un coup dur pour le Diamond Mining Project, soutenu par le ministère de l’Industrie. Temporaire. Les instigateurs du projet ont saisi la Cour Suprême du pays et  fini par la convaincre : la mine a rouvert en août 2009 !

Coudées franches

Au printemps 2011, le site a pourtant des airs d’abandon : le village de mineurs, qui abritait jusqu’à 900 âmes aux temps pleins de l’activité, est désert. Cykim Do, le directeur actuel de la mine, a beau annoncer l’inauguration d’ « une usine ISO 14001, achetée à l’Afrique du Sud, afin de moderniser l’extraction des diamants… » et « qui devrait employer autour de 300 mineurs », le site semble désaffecté, rendant les objectifs de production de la mine, 100 000 carats par an, bien difficiles à atteindre. Les organisations écologiques, atterrées par la réouverture, craignent désormais que la dérogation obtenue ne fasse tâche d’huile, conduisant à un développement minier sans entrave dans les réserves naturelles indiennes… D’autant que la mine de Majhgawan, en activité depuis près d’un siècle, est de moins en moins riche ; l’exploitation d’autres régions du parc, encore recouvertes par la forêt, semble désormais inévitable.

L’an passé, dans le district de Chhatarpur, toujours dans le parc de Panna, à quelque 70 km de là, 13 villages, soit 350 familles, ont été évacués. Comme le rappelle Yusuf Beag, de l’ONG indienne Mines, Minerals and People pour la bonne cause écologique ! Le gouvernement indien s’est chargé de l’évacuation de la zone, et de l’indemnisation des habitants, au motif de « préserver l’habitat naturel des tigres et prévenir la déforestation… ».

Probablement aussi au nom de la joint venture passée avec la compagnie Rio Tinto sur place depuis 2002. Les campagnes de prospection menées par ce géant minier nord-américain américain ont révélé en 2006 des réserves de 27.4 millions carats , soit 7 fois plus que toute la mine de Mahjgawan,  et toujours dans le parc national de Panna !

L’exploitation devrait en démarrer prochainement sous couvert d’une gestion écologique des ressources en eau et en forêt…et de belles promesses de développement économique et d’éducation, soutenues par l’UNICEF. Le Madhya Pradesh, en passe de devenir l’une des dix régions les plus riches en diamants au monde, ne se souciait déjà plus vraiment de ces tigres, dont il ne reste dans tout le parc de Panna que deux femelles et huit petits nés cette année (contre encore une vingtaine  d’adultes dans les années 1990.)… Se souciera-t-il encore demain du sort des habitants expulsés, qui attendent toujours , par ailleurs, leur indemnisation?
* 1carat = 0,2g
**dans cette zone semi-aride arrosée de de 800 mm de précipitations annuelles

L’or gris des Andes

Paru sur le site de Science Actualités en janvier 2011

A l’heure où le pétrole se raréfie, le lithium, matière première des batteries des voitures électriques, apparaît comme une ressource prometteuse. Reportage en Bolivie où se trouve la majeure partie des réserves…

En plein Altiplano bolivien, bordés par la cordillère des Andes, le Salar de Uyuni, et son prolongement, le Salar de Coipasa ressemblent à de vastes étendues neigeuses. Visible depuis les satellites, leur blancheur envoûtante n’est pourtant pas liée à la présence de neige, bien que l’on soit ici à plus de 3500m d’altitude : comme leur nom le suggère, ces déserts blancs sont des déserts de « sels »… Et, plus qu’une curiosité géologique ou une attraction touristique, ils sont une richesse potentielle pour la Bolivie. En effet, ces salars sont riches en divers minéraux tels que le chlorure de sodium (sel de table) ou le borax qui y sont exploités depuis longtemps, simplement par ramassage de surface. Dans les années 1970, des sondages réalisés par ce qui s’appelait l’ORSTOM (aujourd’hui l’IRD), ont révélé qu’à quelques mètres de profondeur à peine, le salar recelait des saumures particulièrement riches en lithium.

 

Les enjeux du lithium
Le lithium, ce métal mou présent ici sous forme de sels, offre une capacité d’accumulation des charges électriques telle qu’il entre aujourd’hui dans la composition des batteries de la plupart des appareils modernes. Saviez-vous par exemple que la batterie de votre ordinateur portable en contient probablement l’équivalent d’une huitaine de grammes ? Téléphones portables, lecteurs de MP3 ou appareils photographiques numériques ne seraient pas non plus qu’ils sont aujourd’hui sans l’autonomie énergétique que leur confère les batteries au lithium… Rien d’étonnant à ce que le lithium ait conquis depuis le début les développeurs des véhicules électriques : il suffit de 2,7kg de lithium pour fabriquer une batterie de 24kWH permettant de faire rouler une voiture pendant 5 ans, à raison de 160km entre deux recharges …En ces temps de pénurie de pétrole, le lithium andin a de quoi attirer toutes les convoitises. Car il « suffit » de forer quelques mètres sous le salar et de faire sécher les saumures pour obtenir des sels riches en carbonate de lithium.

Les ressources boliviennes
Le lithium bolivien représenterait plus de 70% des réserves mondiales. Représenterait ? Le conditionnel reste de mise car on ne sait déjà pas combien il y a de lithium en Bolivie… Comment savoir combien il y en a à l’échelle de la planète ? Faute d’une évaluation précise des ressources géologiques et minières de la planète en général, et en Bolivie en particulier, les réserves de lithium fluctuent du simple au décuple selon les différents géologues : le Service géologique américain, l’USGS (United States Geological Service)  les a estimées à 9 millions de tonnes en 2006. Les experts du gouvernement bolivien  à plus de 100 millions de tonnes, selon les derniers forages réalisés à 300 mètres de profondeur fin 2009. Mais comment évaluer précisément une ressource …avant qu’elle ne soit exploitée… et surtout, sans consensus scientifique en la matière ! La question reste entière !


Des réserves difficiles à quantifier
Selon Jacques Varet, conseiller du président du Bureau de Recherche Géologique et Minier (BRGM) et ancien directeur de la prospective et d’évaluation, il est pour l’instant impossible d’évaluer précisément les réserves de la planète. Il faudrait pour ce faire mettre en place « un GIER, Groupe Indépendant d’Experts sur les Ressources, sur le même modèle que le GIEC pour le climat ». Le lithium n’est pas une ressource fossile, ni un métal rare : il est associé à l’activité volcanique, et l’on peut l’extraire par exemple depuis les puits géothermiques. Il existe d’autres salars dans la cordillère des Andes ( notamment au Chili et en Argentine) , le long de la faille de San Andrea ( en Californie), dans la zone de collision de l’Asie centrale ( au Tibet et en Afghanistan) et dans certaines zones désertiques ( en Afrique de l’Est et en Australie) . D’autres gisements riches en sels de lithium que les salars existent, mais ils sont plus difficiles d’accès : le lithium est présent par exemple dans les gisements de mica, que l’on peut trouver un peu partout sur la planète, y compris en France ou bien encore…dans l’eau de mer dont la teneur en lithium, estimée à 0,17g/m3, en fait une réserve de 240 000 milliards de tonnes ! Comme pour le pétrole, les expertises des géologues confortent les stratégies politiques de gestion des ressources, en influant sur les cours des minéraux. En juin 2010, l’annonce par l’USGS (financé par le gouvernement américain) de gisements importants de lithium en Afghanistan n’avait rien d’un scoop scientifique, puisque connu par le BRGM depuis la présence russe! Il s’agissait plutôt d’attirer de nouveaux marchés économiques avec des industriels étrangers, en montrant qu’il y avait là d’autres marchés que la drogue, et peut-être de faire pression indirectement sur le gouvernement bolivien pour qu’il négocie à la baisse l’exploitation de son lithium par les entreprises étrangères.

Y a-t-il du lithium en France ?

« Le BRGM n’a pas été sollicité pour évaluer les ressources de lithium en France. Néanmoins, on sait qu’on a des ressources de lithium. Dans les formations plutoniques (granit) par exemple, comme le granit des Chassières, et plusieurs sites de granit dans le massif central où l’on sait que l’on peut produire du lithium, à partir de tous ces micas riches en lithium. Plus intéressant à regarder, le lithium que l’on peut produire à partir de fluides géothermaux contenus dans des roches dans des réservoirs profonds, en particulier le Trias, la couche sédimentaire la plus profonde, en Alsace, a des teneurs en lithium relativement élevées. Sans être aussi élevées que celles que l’on trouve dans les salars, ces teneurs peuvent permettre d’envisager des exploitations combinées de géothermie et de lithium. Une perspective considérée dans différents pays du monde, notamment aux Etats-Unis, à Salton Sea, en Californie, où une exploitation de géothermie permet de produire du lithium de cette manière là. »

Jacques Varet, conseiller du président du Bureau de Recherche Géologique et Minier (BRGM) et ancien directeur de la prospective et d’évaluation)
Y-a-t-il du lithium en France? La réponse de Jacques Varet

Une exploitation en solo ?
Le 27 octobre 2010, la Bolivie a annoncé vouloir procéder seule à l’industrialisation de son lithium, pour « ne pas répéter la mise à sac des richesses » historiques de la Bolivie comme cela avait été le cas pour ses ressources en argent et en étain et a le même jour annoncé un investissement de 902 millions de dollars d’ici 2014 pour le faire.
Si l’annonce a, dans un premier temps, jeté un froid chez les industriels, tout le monde se doute bien que l’Etat bolivien ne possède pas cet argent … à commencer par le gouvernement lui-même, qui n’en est pas à un paradoxe près ! L’annonce, sans être une mise à pied définitive des étrangers, visait donc plus probablement à conformer les intentions du gouvernement à la nouvelle constitution adoptée par référendum début 2009, qui lui donne la pleine propriété de ses ressources minérales…
Un colloque international s’est d’ailleurs tenu peu après dans la capitale bolivienne. À La Paz, le 10 décembre dernier, les industriels du monde entier, dont ceux du groupe Bolloré, ont été invités par le gouvernement bolivien à engager rapidement des partenariats technologiques. Ils ont pu visiter l’usine pilote, initiée en 2007, pour un coût de près de 7 millions de dollars, qui vient tout juste d’entrer en service, révélant à quel point la production de batteries électriques boliviennes est encore une perspective lointaine…Gageons donc que les perspectives des industriels sur le lithium bolivien sont loin d’être bouchées !