Paru sur le blob, l’extra-média de la Cité des sciences et de l’industrie et du Palais de la découverte le 16/10/2009
Suite à la mort d’un cheval en juillet 2009, le ministère de l’Écologie a demandé à l’Ineris de mesurer sur le terrain les émanations de gaz provenant des dépôts d’algues vertes en décomposition. Ce risque sanitaire nouvellement démontré peut-il être anticipé ?
Retour sur les incidents de l’été 2009
À St-Michel-en-Grève (Côtes-d’Armor), le 28 juillet 2009, le vétérinaire Vincent Petit mène Sir Garett, son cheval, à la bride. À l’embouchure du Roscoat, dans une zone vaseuse, soudain, le cheval s’enlise et meurt en moins d’une minute. Son cavalier, saisi d’un malaise en voulant le tirer d’affaire, est sauvé in extremis par la fourche de levage d’un employé de l’entreprise de ramassage d’algues qui œuvrait sur la plage ce jour-là. Les gendarmes, photos à l’appui, concluent rapidement à une noyade. Mais l’autopsie pratiquée sur le cheval est formelle : le décès est consécutif à un œdème pulmonaire dû à l’inhalation d’hydrogène sulfuré (H2S), un gaz hautement toxique qui bloque la respiration cellulaire et qui est émis par les dépôts d’algues vertes en décomposition.
Dès lors, impossible de nier le danger, comme l’avait toujours fait la préfecture des Côtes-d’Armor, alors que déjà, au même endroit, en 1989, un jogger s’était écroulé, mort. Même sort pour deux chiens, en baie de Saint-Brieuc en 2008. Mais aucune autopsie n’avait pu alors établir la cause des décès. Ces dépôts d’algues sont soupçonnés pourtant depuis longtemps d’être nocifs : l’odeur d’œuf pourri qui s’en dégage signe en effet la présence d’hydrogène sulfuré (H2S). Et les capteurs à H2S s’affolent à leur contact, témoignant de dégagements dépassant les seuils limites admis en milieu professionnel. Pour autant, l’arbitrage de la métrologie restait nécessaire pour déterminer précisément les concentrations d’hydrogène sulfuré que sont susceptibles d’émettre ces dépôts d’algues en décomposition.
Les marées vertes
En Bretagne, les marées vertes sévissent depuis les années 70. Dès les années 1980, l’Institut français pour la recherche et l’exploitation de la mer (Ifremer), puis le Centre d’études et de valorisation des algues (Ceva) leur ont consacré de nombreux travaux de recherche qui ont permis de comprendre et modéliser le phénomène.
« Ces éléments ont également permis d’en déterminer la cause : les nitrates excessifs des rivières bretonnes, liés aux engrais azotés et à l’élevage intensif » (1), précise Alain Menesguen, directeur de recherche à l’Ifremer.
Les marées vertes n’ont donc plus de secrets depuis longtemps. Tout comme les mécanismes de putréfaction des algues : lorsqu’elles restent trop longtemps sur la plage, les algues sèchent et se couvrent en surface d’une croûte blanche solide sous laquelle la décomposition en milieu anaérobie (sans oxygène) entraîne l’émission de nombreux gaz dont le sulfure d’hydrogène (H2S), un gaz à l’odeur caractéristique d’œuf pourri. Pour l’instant, on ne connaît pas les variations de teneurs en H2S selon que les algues sont en décomposition depuis 6 heures, 24 heures ou 2 jours.
Évaluer les risques : un casse-tête ?
À la suite de la mort du cheval fin juillet, le ministère de l’Écologie a commandé un rapport à l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) pour quantifier les émissions de gaz par les algues en décomposition (2). Pourquoi avoir attendu tant de temps alors que depuis toujours riverains et plagistes se plaignent des nuisances olfactives ? « La pestilence signe bien la présence de sulfure d’hydrogène, mais elle n’en prouve pas la toxicité, précise Martine Ramel, de la Direction des risques chroniques à l’Ineris. La sentir serait même paradoxalement plutôt bon signe ! En effet, en présence de teneurs élevées, l’inhalation d’hydrogène sulfuré se traduit par une paralysie des centres nerveux olfactifs et une anesthésie de l’odorat. »
En toxicologie, tout est question de niveau d’exposition. C’est ce qui permet d’évaluer les risques sanitaires de l’exposition à une substance. « Pour le sulfure d’hydrogène, l’H2S, en milieu industriel, chez les employés des raffineries, des stations d’épuration, des entreprises de ramassage d’algues ou de vidange de fosses à lisiers, ces risques sont bien connus, et depuis longtemps », rappelle Martine Ramel.
Mais en milieu ouvert, sur une plage par exemple, la métrologie de l’H2S est un vrai casse-tête. D’abord, l’H2S étant plus dense que l’air, on le trouve très concentré au sol. Il diffuse également dans l’air ambiant, mais à quelles doses ? Et que respire un chien à 10 cm du sol ? Un cheval ? Un enfant ? Un adulte ? De nombreuses variables sont en cause, telles que la santé de la personne (par exemple, l’H2S peut déclencher une crise chez un asthmatique), son activité physique du moment (on inhale plus d’air quand on court), le vent qui souffle sur la plage, le temps d’exposition, la quantité d’algues et depuis quand elles sont en décomposition. Sans compter que la distribution des algues elles-mêmes peut changer d’une marée à l’autre ou au gré des ramassages par les tractopelles.
Rapport tardif
« Les mesures ont été faites en posant plusieurs “cloches” [NDLR : des dispositifs métalliques permettant de récupérer un échantillon d’air] à la source, précise Martine Ramel. Il s’agissait non pas de modéliser une exposition en milieu ouvert, mais d’établir que dans la zone où le cheval était mort, il y avait bien possible émission d’un gaz toxique à haute dose. » Bien sûr, les mesures ne modélisent pas les émissions d’H2S de l’ensemble de la zone. Outre la question du nombre de points de prélèvements, se posait la question de la sécurité des intervenants : les zones rocheuses inaccessibles au ramassage des algues ont été exclues des analyses.
Par ailleurs, les conditions n’étaient pas exactement les mêmes le 13 août, jour du prélèvement, que le 28 juillet, pour la simple raison que les tractopelles étaient passées par là peu avant pour enlever les algues. Et puis, pour les algues qui avaient échappé au ramassage, il s’était écoulé quinze jours, elles n’étaient donc plus au même stade de décomposition. Verdict : les concentrations d’hydrogène sulfuré variaient de quelques ppmv (ppmv : partie par million de volume) à… 1 000 ppmv, une concentration rarissime, même sur les sites industriels (hors milieu confiné)… et mortelle à coup sûr en quelques minutes ! En conclusion, l’Ineris recommande d’interdire l’accès à la zone étudiée, ainsi qu’aux zones similaires, dans lesquelles les algues vertes sont sujettes à des phénomènes de fermentation avancée. Zones qu’il reste à identifier.
De nouveaux défis pour les scientifiques ?
La cartographie pourrait être un précieux allié pour repérer les zones potentiellement dangereuses. Elle est déjà largement développée dans l’étude des marées vertes depuis plus de vingt ans. Du fait de leur couleur, les scientifiques du Centre d’étude de valorisation des algues (Ceva) observent aisément la croissance des algues en mer, ainsi que leurs échouages, au cours de leurs missions aériennes d’observation à 1000 mètres d’altitude. Leurs photographies, traitées grâce aux derniers logiciels du Système d’information géographique (SIG), sont complétées par des données de terrain (tonnage des algues ramassées, prélèvement d’algues, d’eau de mer, d’eau de rivière) qui permettent d’actualiser des cartes de répartition des sites les plus exposés en Bretagne.
Par ailleurs, le Ceva rend compte depuis longtemps des nuisances fortes engendrées par les dépôts pourrissants, ayant même contribué à la mise en place dès 2005 par la Ddass des Côtes-d’Armor de mesures régulières pour évaluer les nuisances olfactives. La cartographie aérienne a permis de dégrossir les zones les plus exposées aux échouages d’algues, donc les plus à risques de dépôts pourrissants. Mais ne pourrait-elle pas directement localiser les émissions problématiques de sulfure d’hydrogène ? « De nouvelles potentialités pourraient être apportées par des capteurs de type « télédétection » capables de détecter à distance les émanations de H2S ou les lieux de putréfaction intense que l’on sait, par exemple, être généralement associés à des élévations de température. Ces pistes, encore dans le domaine de la recherche, pourraient venir en complément des cartographies déjà en place permettant de localiser les plus gros dépôts », espère Sylvain Ballu, responsable du laboratoire Cartographie et Évaluation des ressources au Ceva. Cette cartographie aérienne pourrait être indicative des zones les plus à risque. Mais elle ne saurait être exhaustive, à moins de multiplier les vols, ce qui coûterait une fortune. Pour l’heure, le Ceva ne compte en effet que sept missions d’observation aérienne en moyenne par an. Comment dès lors garantir ne pas être passé à côté d’un dépôt d’algues fraîchement échoué, que l’on sait se décomposer au bout de deux à trois jours ?
Une mission interministérielle sur les algues vertes
À la suite du rapport de l’Ineris, une mission interministérielle a été lancée le 16 septembre. Elle a pour but de répertorier les lacunes dans les connaissances scientifiques, notamment en matière de risque sanitaire, et d’aboutir, d’ici la fin de l’année, à des mesures pour limiter les marées vertes à l’origine de ces dépôts. Pour les éviter, il faudrait changer radicalement les pratiques agricole. Et attendre, une fois les nouvelles pratiques mises en place, que l’eau des nappes phréatiques se renouvelle.
Pour l’heure, sur le terrain, outre le ramassage des algues, une surveillance complémentaire semble d’ores et déjà incontournable. Comme le rappelle l’Ineris, l’urgence est à la protection des personnes : outre l’interdiction immédiate des zones dangereuses au public, les personnels chargés du ramassage des algues vertes sur les plages devraient être équipés d’un système de détection portable et, bien sûr, de masque. Autre recommandation de l’Ineris : l’évaluation des risques sur l’ensemble de la filière, du ramassage au traitement des algues vertes.
Actuellement, après ramassage, la majorité des algues sont soit portées directement dans les champs des agriculteurs où elles leur servent d’engrais gratuit, soit retraitées dans des centres de compostage. Ces centres à haut risque d’H2S soulèvent d’ailleurs de nombreuses inquiétudes : en juillet 2009, à la déchetterie de Lantic, la mort au travail d’un employé d’une entreprise de transport d’algues qui n’avait ni masque, ni gants, ni détecteur d’H2S, est soupçonnée d’être liée aux algues, de l’H2S ayant été retrouvé dans son sang (sans que cela ne suffise cependant à prouver quoi que ce soit : une enquête judiciaire est en cours). Les risques sanitaires commencent à être sérieusement pris en considération par les élus locaux. Ainsi la mairesse d’Hillion (Côtes-d’Armor), Yvette Doré, a-t-elle décidé, le 14 octobre 2009, de fermer la déchetterie Bleu-vert, non conforme aux normes et très polluante. Se pose ici la question cruciale de la responsabilité : en la matière, c’est aux élus et non aux scientifiques d’assurer la sécurité des personnes contre des risques naturels connus, susceptibles de survenir sur le territoire de leur commune. Début septembre 2009, trois cents plaintes ont été déposées au tribunal de Guingamp avant d’être centralisées au parquet de Paris contre le préfet des Côtes-d’Armor, notamment pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui. À charge peut-être bientôt pour les élus de se former auprès des scientifiques à l’usage des capteurs d’H2S et au port des masques à gaz pour pouvoir identifier croûtes blanches et vasières bouillonnantes…
(2) INERIS, « Résultats de mesures ponctuelles des émissions d’hydrogène sulfuré et autres composés gazeux potentiellement toxiques issues de la fermentation d’algues vertes (ulves) » Mesures réalisées le 13 août 2009 à Saint-Michel en Grève, RAPPORT D’ÉTUDE N° DRC-09-1 08407-1 0226A· (19/08/2009)