paru dans Novethic, juin 2011
La stevia a fait son entrée dans le Petit Robert 2012. Sa définition ? « Plante d’Amérique du Sud dont les feuilles ont un fort pouvoir sucrant. Produit extrait de cette plante, utilisé comme édulcorant. » Cela fait bien sûr quelques années que la stevia était dans notre vocabulaire, un peu moins qu’elle est autorisée à entrer dans la composition des aliments et des boissons : déjà plus de 1000 produits en contiennent aujourd’hui, du Pepsi Cola au Breizh Cola en passant par le Chocolat Villars ou les yaourts Nestlé…
Un exemple de « récupération écologique »
C’est de façon un peu abusive que l’on parle de la stevia comme d’un nouvel édulcorant. Il ne s’agit en effet pas de la plante, mais d’un de ses extraits, sur la dizaine qu’elle comporte : le rébaudioside A. Autorisé d’abord aux États-Unis comme additif alimentaire, par la FDA, fin 2008, puis en France, un an après, par l’AFSSA (aujourd’hui ANSES), et en Europe, par l’EFSA (l’Agence Européenne pour la Sécurité des Aliments), au printemps 2010, cet extrait standardisé, également autorisé comme édulcorant de table, est au cœur de toutes les attentions des industriels. Tout est là pour séduire le consommateur du 3e millénaire : acalorique, originaire d’une ethnie exotique — les Indiens guaranis, de la forêt amazonienne —, aisément cultivable et de haut rendement avec ses 4 récoltes annuelles, il se présente comme un édulcorant idéal, sur fond vert d’écologie matinée de commerce équitable et d’agriculture biologique… Au prix de quelques omissions savamment entretenues.
Par exemple, le fait que la plante soit principalement cultivée… en Chine ! 20 000 hectares de terre lui sont consacrés là bas, de quoi récolter plusieurs millions de kilos de feuilles et obtenir quelques milliers de tonnes d’extraits, et assurer près de 80 % de la production mondiale. Historiquement, ce sont des Japonais en visite au Paraguay dans les années 1950 qui l’ont ramenée dans leur pays. La culture s’y est depuis développée et étendue aux autres pays asiatiques (Corée). Le leader mondial de la stevia est d’ailleurs le géant malaisien PureCircle, qui dispose des exploitations agricoles jusqu’aux laboratoires chimiques en permettant l’extraction. PureCircle signe des JointVenture avec Mérisant (qui fabrique l’édulcorant Candérel) ou le sucrier NordZucker, tout en parant sa communication de multinationale des habits de la conscience écologique et humaine : les petits fermiers chinois qui travaillent pour lui seraient bien traités. Au Paraguay et au Brésil, où Pure Circle s’implante depuis les années 2000, les paysans sont aidés et soutenus par des ONG comme Los Amigos de las Americas…
Face à la crise du sucre et à la disgrâce de l’aspartame
Accusé d’être nocif pour la santé, l’aspartame, interdit depuis plus de 40 ans au Japon, est en train d’être réévalué par l’EFSA, qui doit rendre son rapport à la fin 2012. S’il est bien sûr encore trop tôt pour dire s’il sera interdit, il est prévisible qu’il puisse l’être… Notons que l’aspartame ne devrait d’ailleurs même pas être sur le marché européen, ainsi que l’a rappelé très récemment le Réseau Environnement Santé, la Commission Européenne ne disposant même pas des éléments scientifiques (le dossier de toxicologie) exigés pour son autorisation ! Le rébaudioside A se présente comme un concurrent sérieux de l’aspartame, qu’il est en train de supplanter, comme en témoigne l’évolution de ses ventes dans le monde : en 2007, 10 millions de dollars (contre près de 500 millions pour l’aspartame), en 2008, 21millions de dollars. En 2009, 180 millions de dollars. La progression continue, avec l’ouverture des marchés européens début 2010. Fin 2011, le marché de la stevia devrait atteindre 2 milliards de dollars. D’ici 2015, il pourrait en représenter près de 10 soit le quart du marché des édulcorants, estimé à 40 milliards de dollars !
Par ailleurs, les propriétés médicinales antiobésité de la stevia la placent sur un autre marché concurrentiel fortement en crise : le sucre, qui selon le dernier rapport de la Banque Mondiale, Food Price Watch reste toujours un produit rare et cher. Le prix du sucre a ainsi augmenté de 73 % depuis juin 2010. La demande s’accroît avec la démographie tandis que la production sucrière diminue, en raison de l’augmentation de la production des biocarburants à partir de la canne à sucre (notamment au Brésil, premier producteur mondial), mais aussi des mauvaises conditions climatiques (sécheresse…) des pays producteurs. Ce qui élargit bien entendu les débouchés de la stevia. D’autant plus qu’en terme de rendement annuel à l’hectare, pour la canne à sucre (6 à 8 tonnes/ha) c’est 700 à 900 kg de sucre, pour la stevia (3 à 4 tonnes/ha), avec 1 tonne de feuilles de stevia on obtient de 3,6 à 4,5 kg de steviosides, équivalent à 1400 à 1800 kg de de sucre, l’extrait de stevia étant 300 fois plus sucrant que le sucre…
Un succès mondial
Aujourd’hui, de nombreux pays se sont mis à la culture de la stevia : Afrique du Nord, Amérique du Sud, Australie, Canada, États-Unis, Inde, Israël, Russie et, depuis 2010, la France. Un essai dans l’Hérault, autorisé par la DGCCRF, est mené sous la direction de la chambre d’Agriculture de l’Hérault. En agriculture biologique. Si les résultats sont concluants, le développement d’une filière biologique française a toutes les chances de séduire des consommateurs soucieux tant de l’écologie planétaire et du « développement durable »… que de la qualité des extraits ! Car pour l’heure, cette dernière n’est pas contrôlée, comme l’a confirmé la DGCCRF : « Il suffit juste que le laboratoire souscrive au cahier des charges définissant l’extraction chimique du rébaudioside A, avec une exigence de pureté de 97 % ! ». Le seul critère de qualité reste donc pour l’instant la bonne foi des laboratoires. Et, en août 2010, une affaire de stevia bolivienne frelatée, coupée à 20 % à la saccharine, n’a pas été sans semer quelques doutes ! Pour l’heure, le marché mondial de la stevia s’organise : une Organisation Mondiale de la Stevia (WSO) s’est même montée en 2010.
Elle vient d’ailleurs de tenir son 3e Congrès Mondial à Paris, le 25 mai dernier. Cet organisme privé qui réunit des industriels (Coca Cola et Nestlé par exemple) et des universitaires (comme le Pr. Maixent de l’Anses), illustre tout l’engouement que porte le monde des édulcorants à cette nouvelle plante. Tout comme l’enthousiasme mis pour lever les obstacles à son développement : le dernier congrès de la WSO avait pour thème le moyen de neutraliser l’arrière-goût de réglisse de la plante, qui perturbe les consommateurs occidentaux, et a déjà fait renoncer certains industriels, comme les bonbons Ricola par exemple, à l’employer. Sur l’affaire, tous les chimistes sont déjà sur les rangs… Que restera-t-il bientôt de la Stevia naturelle, qui aurait pu faire la richesse des Indiens guaranis, si la convention de Nagoya sur les brevets avait été signée avant ? Une molécule chimiquement parfaite, sans doute….