Aujourd’hui plus que jamais, la recherche s’intéresse à la population si particulière que représentent les bactéries contenues dans notre tube digestif. Ses mystères commencent à être décryptés. Petit tour d’horizon…
On les regroupait si poétiquement sous l’appellation de flore intestinale. Aujourd’hui, sous la pression des scientifiques américains, c’est désormais de microbiote que l’on parle pour évoquer ces bactéries qui colonisent nos organismes. Ce n’est pas une découverte, cela fait des années qu’elles sont étudiées et que l’on sait à quel point qu’elles participent à notre bon équilibre. Déjà dans les années 1920, on vendait des yaourts en pharmacie pour soigner les diarrhées des bébés ! L’affaire n’est donc pas neuve. Mais les connaissances s’étendent, découvrant le rôle de ce microbiote dans de nombreuses maladies, voire même dans nos comportements psychiques !
Ce microbiote qui nous est propre…
Si le fœtus en est dépourvu, dès sa naissance, le nouveau-né est exposé à toutes les bactéries de son environnement : celles des voies naturelles par lesquelles il doit passer pour venir au monde (s’il naît par césarienne, ou trop prématuré, les choses seront différentes), celles qui se trouvent sur les mains des infirmières, etc. Peu à peu, jusque vers l’âge de 2 ans, les bactéries avec lesquelles le nourrisson est en contact et qui entrent peu à peu dans toutes les cavités de son organisme vont constituer son microbiote personnel, sa carte d’identité bactérienne en quelque sorte. Cette colonisation se fait selon un ordre précis, certains types de bactéries venant en premier, d’autres s’installant bien plus tard. Elle dépend aussi de l’environnement, différent par exemple selon que l’enfant est allaité ou pas. Le microbiote petit à petit devient un monde à part entière et même… 90 % de notre constitution. En effet, des cellules qui nous composent, seules 10 % peuvent être considérées comme d’origine « humaine », les 90 % restants sont des cellules « étrangères », des bactéries plus précisément, auxquelles nous offrons le gite et le couvert. En échange, « nos » bactéries nous aident à digérer les aliments, produisent des vitamines (K, B12, B8), mais aussi combattent les infections (70 % de notre système immunitaire étant associé au tube digestif, le microbiote collabore sans doute grandement avec lui…). Certains chercheurs sont d’ailleurs convaincus que les allergies des enfants sont dues au fait qu’ils n’ont pas été mis en contact avec les bonnes bactéries : selon cette théorie dite « théorie eugéniste » », ils doivent être envoyés en séjour à la ferme pour être exposés aux « bonnes » bactéries, animales et autres, qui sauront les immuniser. Sans microbiote, nous ne pourrions pas vivre. Impossible ne serait-ce que d’assimiler les végétaux, si nous n’avions pas dans le microbiote des bactéries capables de casser la cellulose, l’amidon et autres polysaccharides qui les constituent ? Mais, alors que l’on pourrait penser que cette flore microbienne est propre à chacun, et qu’il en existe donc autant que d’individus, une chose étonnante vient d’être confirmée par une équipe internationale de chercheurs[1] : le microbiote serait un peu comme le groupe sanguin. Il n’y en aurait en fait qu’un nombre très limité : tout comme il n’y a que 4 types de groupe sanguin, il n’y aurait que 3 types de microbiotes, caractérisés du nom des populations majoritaires de bactéries qui s’y trouvent, à bactéroidètes, à prévotelles ou à ruminocoques… Ces chercheurs ont ainsi, après avoir étudié des microbiotes très similaires, d’une trentaine de Japonais, Français, Espagnols, Danois et Américains, constaté qu’il existait de grandes similitudes entre les flores intestinales des Français et des Japonais par exemple, pourtant soumis à des régimes alimentaires et des environnements très différents. Des résultats dont on ne connaît pas encore bien les implications, car ils doivent être confirmés par l’étude plus large des selles de 250 personnes américaines et danoises.
Microbiote sous influence
Quand bien même on ne discerne que trois types de microbiotes dans le monde, ceux-ci restent influençables. Premier facteur : l’environnement, et plus exactement les bactéries qu’il contient. Grâce à elles, nos microbiotes acquièrent les capacités nécessaires pour mieux digérer. C’est ainsi que l’on explique par exemple pourquoi les japonais digèrent mieux les makis que les Occidentaux : habitués depuis plus longtemps à en manger, ils ont dans leur flore acquis de quoi les digérer. Ainsi, rapporte une étude parue en 2010, la flore intestinale des Japonais contient une bactérie spécifiquement dotée des gènes permettant de digérer les fibres des algues alimentaires. Comme la « porphyra » (ou « nori ») par exemple qui entre justement dans la composition des makis. Ces gènes, dont sont dépourvues les bactéries des Occidentaux, auraient été transmis aux bactéries intestinales des Japonais par des bactéries marines qui les contenaient naturellement. Hypothèse évoquée : voici mille ans environ, et probablement avec l’introduction du nori dans l’alimentation, les gènes seraient passés, des bactéries marines aux bactéries humaines. Bien d’autres facteurs existent, parmi lesquels on peut citer le stress : il vient d’être démontré que les patients soumis à un stress présentaient dans leur flore un plus grand nombre de bactéries pathogènes. Ce qui offre quelques nouvelles pistes d’explications au fait que certaines maladies comme le syndrome du côlon irritable ou l’asthme soient particulièrement renforcées en période de stress. [2]
Des maladies expliquées
En étudiant le microbiote (ce qui est possible par l’analyse des bactéries qui sont contenues dans les selles), les chercheurs ont confirmé que de nombreuses maladies étaient effectivement liées à une dysbiose, autrement dit à un déséquilibre des populations bactériennes de la flore intestinale. Ainsi, des maladies digestives comme la maladie de Crohn, le syndrome du côlon irritable, les troubles fonctionnels intestinaux ou les maladies inflammatoires de l’intestin ont trouvé un nouvel éclairage. Mais la « dysbiose » serait aussi impliquée dans des pathologies plus inattendues comme dans l’obésité. En cause, un déséquilibre de répartition entre deux grandes populations bactériennes : les obèses ont ainsi plus de firmicutes que de bactéroidètes. « Des études ont montré que lorsqu’une personne obèse maigrit, son microbiote se met à ressembler à celui d’une personne mince ! » poursuit Gérard Corthier, ancien directeur de l’unité Inra d’Écologie et de Physiologie digestive [3]. Leur population de bactéroidètes se met à augmenter. Autre implication possible du microbiote : les maladies auto-immunes telles que le diabète de type I. Et même certains troubles du comportement alimentaire. « Si l’on prend des souris sans microbiote (sous bulle) et que l’on rajoute diverses microflores humaines, on observe que sur des tests de comportement (test de peur dans un labyrinthe par exemple), elles n’ont pas le même comportement en fonction de leur microbiote », poursuit-il. En extrapolant, et « même si cela n’excusera pas les grands criminels, est-ce qu’une partie de notre comportement ne pourrait pas être liée aux bactéries qui nous habitent ? » s’interroge Gérard Corthier. Certaines formes d’autisme semblent d’ailleurs déjà pouvoir être grandement améliorées… par la prise d’antibiotiques !
Pré et Probiotiques….
Toutes ces découvertes confortent l’idée qu’en agissant sur la flore intestinale, on agit aussi sur la santé. Depuis longtemps, les autorités sanitaires reconnaissent d’ailleurs l’intérêt des prébiotiques, des ingrédients alimentaires non digestibles qui stimulent la multiplication et l’activité de certaines bactéries intestinales, les bifides (effet « bifidogène »), tels que les Fructo-Oligo-Saccharides (FOS) ou l’Inuline, extraite de la chicorée, ainsi que celui des probiotiques, des bactéries d’origine naturelle, comme les lactobacilles par exemple, que l’on trouve dans la choucroute, les laits fermentés… et bien sûr dans les yaourts ! Dans un monde où les allégations de santé sont soumises à l’exigence des preuves, et sont sous le feu des législateurs, il n’est pas étonnant que la plupart des recherches menées dans ce domaine intéressent avant tout…les grandes industries de produits laitiers comme Danone ou Nestlé, par exemple, qui, avec leur « bifidus actif », participe au financement, de programmes menés à l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) par exemple. Heureusement, la question des conflits d’intérêts se trouve atténuée par le fait qu’il n’y a pas de dangers à taire, les bactéries sont ici là pour nous servir : plus belle peau, meilleure immunité, et amélioration des troubles fonctionnels intestinaux en sont ainsi les principaux bénéfices revendiqués ! À noter enfin qu’il existe aussi des symbiotiques, qui allient à des souches probiotiques à une matrice prébiotique pour une action plus totale.
Vous avez dit dysbiose ?
La flore intestinale peut être momentanément perturbée, on le sait depuis longtemps, par la prise d’antibiotiques par exemple. Ou par le lavage au PEG (polyéthylèneglycol) précédant une coloscopie. Ou bien encore par le lavement à l’eau lors d’une hydrothérapie du côlon. Mais elle finit toujours par se reconstituer, au bout d’un certain temps plus ou moins long. En cas de dysbiose avérée, la recherche d’intolérances alimentaires, suivie des corrections diététiques qui s’imposent est une première étape. Elle peut être complétée par la prescription de traitements naturels à base d’huile essentielle de cannelle (qui assainit la lumière intestinale), de curcuma (qui apaise l’inflammation de la muqueuse intestinale), de chlorophylle magnésienne pure (qui cicatrise la muqueuse altérée) et de divers nutriments spécifiques (comme la L-glutamine) [4].…. En attendant que l’on puisse agir directement sur la flore intestinale, ce qui pourra sans doute être possible un jour, avec des bactéries soigneusement choisies. Mais pour l’instant, les chercheurs sont encore en phase d’exploration et n’ambitionnent apparemment pas du tout de jouer aux apprentis sorciers. L’un d’entre eux, Jeffrey Gordon, celui-là même qui a mis en évidence les différences de microbiotes entre personnes obèses et saines a même déclaré : « il est urgent d’attendre ! » Une prudence d’autant plus salutaire que si l’on s’intéresse aux bactéries d’origine naturelle, il est désormais aussi possible de créer des bactéries de toutes pièces et avec tous les gènes que l’on veut, de nouveaux OGM en somme !
Les antibiotiques diminuent-ils notre immununité ? Les antibiotiques ne perturbent pas seulement notre flore en y semant la diarrhée : une expérience menée chez les souris a montré que celles qui prenaient des antibiotiques se défendaient moins bien contre le virus de la grippe que celles qui n’en prennent pas. Comme si les antibiotiques « tuaient » aussi les bactéries qui permettent notre immunité….[5]
Des microbes dans tout le corps !
Le microbiote ne se limite pas à notre tube digestif : toutes les cavités du corps (bouche, vagin, système urinaire) sont colonisées par les bactéries et des pathologies sont directement liées à la multiplication incontrôlée de certaines d’entre elles : Escherischia Coli, responsable des gastro-entérites mais aussi des cystites, d’un streptocoque qui dans la cavité buccale favorise l’apparition des caries ou d’autres micro-organismes comme Candida Albicans, une levure ayant évolué en moisissure, capable de coloniser tout le tube digestif et même plus, puisqu’elle est impliquée dans des mycoses vaginales ou le muguet du nouveau-né. (voir le numéro d’Alternative Santé de février 2010)
Intolérance alimentaire et réaction inflammatoire de l’intestin
L’intolérance digestive au blé et à ses protéines entraîne des fermentations et des putréfactions intestinales qui modifient la perméabilité intestinale. Déréglée, la muqueuse intestinale s’inflamme, et laisse passer les grosses molécules comme le gluten, qui se transforme en glutéomorphine, interagissant avec les récepteurs morphiniques du système nerveux central. D’où, chez les intolérants au gluten, des troubles du comportement qui viennent se surajouter aux symptômes intestinaux…. Si l’intolérance au gluten est bien définie, la plupart des intolérances alimentaires semblent en revanche loin d’être réductibles à une simple analyse sanguine visant à rechercher les différents types d’immunoglobulines (IgG , IgE, etc…) : les personnes allergiques au lait de vache peuvent avoir des IgG positifs, des IgE positifs ou rien du tout ! rappelle le docteur Éric Ménat. Les tests, disponibles sur internet, sont onéreux (jusqu’à 400 euros) et d’efficacité douteuse, comme envisage de le dénoncer prochainement la SFA (société française d’allergologie).
[1] Manimozhiyan A et al – « Enterotypes of the human gut microbiome » Nature, 472 (7343) (21 avril 2011)
[2] Bailey MT « Exposure to a social stressor alters the structure of the intestinal microbiota : implication for stressor-induced immunomodulation » Brain, Behavior and Immunity 25 (3), (03/2011)
[3] Gérard Corthier – « Bonnes bactéries et bonne santé », 128 pages, éditions Quae, 2011 (disponible auprès de Editions Quae, c/o Inra, RD 10, 78026 Versailles Cedex, France)
[4] Communication du Dr Eric Ménat lors des 27èmes Rencontres des Médecines Alternatives et Complémentaires à l’hôpital Tenon en 2010, dont le thème était « L’intestin, carrefour stratégique de la santé »
[5] Cité dans Science 179(8) du 09/04/2011