Le principal solvant utilisé pour le nettoyage à sec est le perchloroéthylène, un composé chimique toxique, accusé aujourd’hui de tuer. Qu’attend l’Etat pour l’interdire ?
Au mois de décembre 2010 une information judiciaire pour homicide involontaire a été ouverte au parquet de Nice suite au décès de José-Anne Bernard, 72 ans. Cette dame est morte le jour de noël 2009 d’un arrêt cardiaque. Les émanations de perchloréthylène utilisé par le pressing au-dessus duquel elle habitait depuis 2 ans seraient directement en cause. En effet, selon son fils, Mme Bernard n’arrêtait pas de se plaindre des vapeurs du pressing, répétant « qu’elle avait l’impression d’être empoisonnée, de se consumer comme une chandelle ». Une impression confirmée par l’autopsie qui a établi la présence de perchloroéthylène dans presque tous ses organes, y compris dans les graisses …
Emanations toxiques
Cela fait pourtant longtemps que l’on sait que le perchloroéthylène est une « substance probablement cancérogène » (2A selon la classification du Centre international de recherche sur les cancers). Ce dissolvant des graisses, particulièrement volatil, peut lorsqu’il est inhalé, irriter les voies respiratoires et les yeux, entraîner des vertiges et des nausées, une somnolence ou une perte de mémoire. Il peut aussi entraîner des lésions irréversibles du cerveau : Thierry Drouin, restaurateur, fait ainsi les frais du pressing attenant à son restaurant dans une galerie commerçante de Rennes… Quant aux employés des pressings eux-mêmes, les plus exposés, la médecine du travail rapporte une augmentation des cancers du système urinaire, du pancréas et de l’œsophage, voire des troubles de la reproduction (avortements spontanés). Les autorités françaises sont pourtant bien informées, et depuis longtemps : « A l’Ineris (1), nous avons rédigé une dizaine de rapports depuis 2001 qui n’ont pas été suivis des faits » s’indigne André Cicollela, du Réseau Environnement-Santé (RES).
Trop de perchlo dans les machines
Si la seule prévention réelle du risque chimique dans les pressings est évidemment l’interdiction du perchloroéthylène , en attendant, les autorités ont plutôt soutenu une réduction à la source les émissions dangereuses. D’où la mise au point de machines dites « à circuit fermé », aujourd’hui la grande majorité des machines en fonctionnement en France, qui selon les dires du président de la Fédération nationale des pressings, Robert Roux, rendraient nul le risque d’intoxication… Or, en 2009, le ministère chargé du travail et l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) ont finalement mis en garde contre l’utilisation de ces machines : les dispositifs installés, censés accélérer la décomposition du perchloroéthylène en combinant l’action de la lumière et d’un catalyseur, émettent du phosgène, un gaz très toxique par inhalation qui provoque des effets pulmonaires sévères même à des concentrations très faibles, et ce, à niveaux d’exposition préoccupants à proximité des postes de travail ! Et n’éliminent pas tout le perchlo. Un avis de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), paru au mois d’octobre 2010, invite désormais à « fixer une valeur limite d’exposition professionnelle » ainsi que le « développement de solutions permettant à terme de substituer le perchloroéthylène par des agents chimiques moins nocifs ».
ENCADRE : Des substituants sans risque ?
Parmi les agents de substitution possible, on trouve
– L’eau, le plus simple et le moins risqué : l’aquanettoyage ( !) impose cependant l’ajout de produits chimiques et de détergents pour éviter la détérioration des fibres du textile…Leur effet sur la santé n’est pas bien établi.
– Le décaméthylpentasiloxane (siloxane) ou D5 de la famille des silicones, apparu aux Etats-Unis à la fin des années 1990. Plus efficace que le perchloroéthylène pour le nettoyage, il est très inflammable et ses données toxicologiques sont encore peu connues.
– Le dioxyde de carbone (C02 liquide), en enceinte sous haute pression , (mais qui nécessite des coûts élevés d’équipement!)
ENCADRE 2 : Un linge dangereux
Lorsqu’un vêtement revient du pressing, on la sent, cette petite odeur particulière, qui témoigne du nettoyage à sec : due à de petites quantités résiduelles de perchloroéthylène dans les fibres des tissus, cette odeur est également toxique ! En 1996, une étude médicale recensait 26 cas de personnes empoisonnées au « perchlo », dont un nourrisson décédé suite à l’inhalation d’émanations de tissus qui revenaient du pressing… Le linge n’est pas anodin non plus, étant en contact avec la peau, ces quantités résiduelles peuvent aussi migrer par la voie cutanée. Certains tissus retiennent d’ailleurs plus le solvant que d’autres : couettes, duvets, oreillers, couvertures, rideaux et peluches par exemple…. Mieux vaut donc bien laisser les tissus s’aérer avant de les utiliser !
Demi-mesures
Alors qu’aux Etats-Unis ou au Danemark les autorités ont statué en interdisant l’installation de nouveaux pressings utilisant le perchloroéthylène (le produit est même en bonne voie d’interdiction aux Etats-Unis d’ici 2020), la France consciente du danger continue à les autoriser. Même si elle a interdit l’installation de nouvelles machines de nettoyage à sec en libre service dans les laveries automatiques. En témoigne le récent avis du Haut conseil de la santé publique (avis publié en juin 2010 ) qui se borne à recommander de « réaliser, à titre préventif, une campagne nationale de mesure des concentrations de tétrachloroéthylène dans les pressings et dans tous les logements et locaux ouverts au public se trouvant au-dessus ou à proximité immédiate de ces installations ». L’avis propose aussi que toutes les personnes exposées bénéficient d’un examen médical gratuit. Et préconise « qu’à l’avenir, aucun nouveau pressing ne soit installé au voisinage immédiat de logements », montrant que les préoccupations des habitants voisins de pressing commencent à être prises en compte … Cet avis vient s’ajouter à l’ arrêté de 2009, qui impose aux pressings déjà ouverts de faire contrôler leurs installations par un cabinet extérieur tous les cinq ans. Mais il n’est pas sûr que cela soit suffisant aujourd’hui pour les rassurer ! Les analyses de l’air faites autour du restaurant de Thierry Drouin par exemple ont révélé un taux de perchlorétylène dix fois supérieur à la valeur seuil fixée par l’OMS : 2,5 mg/m3, au lieu des 0,25 mg/m3 tolérables ! Et, pour mémoire, quelques mois avant le décès de José-Anne, une inspection de la préfecture avait révélé des défauts d’étanchéité des murs et plafonds du pressing, exigeant des travaux de mise en conformité. Malgré cette inspection, ils n’avaient pas été fait (le pressing est d’ailleurs fermé depuis l’été 2010)…Selon André Cicolella, qui s’est rendu sur les lieux en décembre 2009 : « le taux de perchloroéthylène dans l’appartement était de plusieurs centaines de milliers de microgrammes par mètre cube ».
Bref, toutes ces demi-mesures commencent à énerver sérieusement les ONG ! Générations Futures et le Réseau Environnement Santé (RES), ainsi que leurs partenaires WWF France et Health and Environment Alliance ont demandé mi-décembre l’interdiction pure et simple du perchloroéthylène… Comme le résume André Cicolella « Attendre alors qu’on a toutes les preuves, ce n’est pas acceptable ! ».
(1) Institut National de l’environnement industriel et des risques
Pour en savoir plus
Association de défense des victimes d’émanation de perchloroéthylène des pressings (ADVEPP)
12, rue de Suède
35000 Rennes
e-mail : advepp@sfr.fr
Réseau Environnement Santé 32, rue de Paradis 75010 Paris Tél : 09 54 05 24 11 |
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Site web : http://www.reseau-environnement-sante.fr
Initié en 2002 avec l’agrément de l’ADEME, les pressings porteurs du label Pressing Propre, utilisent du perchloroéthylène , se contentant d’en récupèrer les boues pour qu’elles ne contaminent pas l’environnement.