Stevia : des extraits frelatés ?

paru dans Alternative Santé en octobre 2010

Si la stevia reste une plante interdite sur le territoire français, les extraits de stevia, sous forme de rébaudioside A, sont depuis janvier 2010 autorisés comme édulcorants de table. D’où viennent-ils ? Leur qualité est-elle contrôlée ? Petite enquête…

En août 2010, une association de consommateurs de Santa Cruz (Bolivie) a demandé à 3 laboratoires universitaires boliviens d’analyser les extraits de stevia commercialisés dans les pharmacies et magasins de diététique du pays. Résultats : 4 marques distributrices d’extraits de glycosides de stevia les coupent à 20 % avec de la saccharine et du cyclamate de sodium voire même de l’aspartame ! Ces produits ? E.N.D. Stevia, Dulce-C   Stevia, La Bolivianita et Majota Stevie.  La Chambre Bolivienne de la Stevia nouvellement créée, et la Posta, l’Association des Producteurs biologiques de Stevia, ont alerté aussitôt les consommateurs sur la nocivité de ces édulcorants indésirables. Et la presse bolivienne s’est emparée de l’affaire, parlant depuis l’automne du scandale de la stevia frelatée.

L’affaire semble plus qu’une simple histoire locale, car les extraits de stevia destinés à être exportés dans d’autres pays d’Europe, selon les laboratoires d’analyse, sont également coupés. Les fabricants, contactés par téléphone ou mail, ne répondent pas…

« Cette histoire bolivienne est incompréhensible ! » commente le Dr Joël Perret, fondateur de Stevia Natura, une société française spécialisée dans la commercialisation d’extraits de Stevia. « C’est à croire qu’ils veulent tuer la Stevia ! » 

Nom de code : Rébaudioside A

La stevia est une plante édulcorante utilisée depuis des siècles par les Indiens guaranis au Paraguay qui en font simplement sécher les feuilles (voir l’ article que nous lui avions consacré en 2009). Ses molécules édulcorantes ont été identifiées dès les années 1930, et semblent intéresser depuis longtemps l’industrie agroalimentaire. Mais ce n’est que depuis 2008 aux États unis et 2009 en France  que l’une d’entre elles, le rébaudioside A, est autorisé comme additif alimentaire. Soit 40 ans après les Japonais ! Ce qui explique aussi que le scandale de la stevia frelatée ne devrait pas nous inquiéter outre mesure, car a priori, nous avons peu de chance de trouver des extraits boliviens sur le marché français. En effet, l’intérêt des Japonais pour la Stevia dès les années 1950, leur a fait rapporter des plants d’Amérique du Sud qu’ils ont entrepris de cultiver sur les vastes terres de leurs voisins chinois : à présent, les cultures chinoises de Stevia s’étendent sur plus de 20 000 hectares ! Et approvisionnent en extraits 80 % du marché mondial.

Quelles garanties de pureté et de fabrication ?

Est-ce pour autant que les garanties de qualité sont là ? Questionnée, la DGCCRF (Direction générale de la Consommation et de la Répression des Fraudes) se veut rassurante : « Les édulcorants comme tous les additifs autorisés ne peuvent être commercialisés que s’ils respectent les critères de pureté définis par la réglementation. Ces critères sont fixés par l’arrêté du 26 août 2009 pour le rebaudioside A. Ainsi, seuls les extraits de rebaudioside A purifiés à plus de 97 % sont autorisés. » Mais la même DGCCRF se montre bien plus évasive sur les procédures de contrôle visant à vérifier la qualité de ces extraits… ou la façon dont ils ont été obtenus ! Se contentant de rappeler qu’il existe un processus d’extraction que les laboratoires synthétisant les extraits sont supposés respectés. Ce procédé, fixé par le JECFA [1], le comité mixte FAO/OMS, co-administré par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), chargé de l’évaluation des risques en matière d’additifs alimentaires pour le Codex alimentarius, semble simple sur le papier : « Les feuilles sont placées dans l’eau chaude qui en extrait les molécules sucrantes, la solution est passée au travers d’une résine d’absorption pour piéger et concentrer les glycosides de steviol. La résine est ensuite lavée avec un solvant (alcool) pour libérer les glycosides. Puis le produit est cristallisé avec du méthanol ou une solution d’éthanol et d’eau et enfin, séché. »

Mais en pratique, comment garantir que certains laboratoires, notamment en Indonésie ou en Malaisie, n’utilisent pas des solvants à base d’hydrocarbures, comme le kérosène, meilleur marché que l’éthanol ?   Par ailleurs, les extraits étant autorisés avec un degré de pureté de 97 %, cela signifie que 3 % d’impuretés sont tolérées. En théorie, de simples résidus végétaux… mais quid de résidus éventuels de produits phytosanitaires liés aux pratiques bien connues de l’agriculture intensive chinoise ou de métaux lourds réputés contaminer les sols ? Et que dire des extraits boliviens qui, affichant une pureté de 97 %, s’avèrent n’être purs qu’à 80 %, les 20 % restant étant constitué de saccharine, ou d’autres édulcorants ?

Solution locale

Tant de questions sans réponse relancent l’intérêt de développer des filières locales. Même si pour l’instant, la stevia, reste en tant que plante, interdite de culture en France. Joël Perret, depuis 2004, croit très fort dans son potentiel  sur le marché des édulcorants.  Sa société s’approvisionne en feuilles en Inde et en Amérique du Sud. Et ses extraits, dont il contrôle lui-même la qualité, sont réalisés exclusivement par extraction à l’eau. Ils sont utilisés par exemple par la brasserie  Lancelot qui fabrique  depuis cette année un Breizh Cola à la Stévia. Joël Perret espère beaucoup de la filière française de culture qu’il est en train de mettre en place, avec l’accord de la DGCCRF. Une garantie de qualité et de sécurité pour les consommateurs qui s’inscrit aussi dans la logique du développement durable : « À terme, c’est le seul moyen pour éviter de lourds déplacements en avion d’un bout à l’autre de la planète ! » explique-t-il. Une façon peut-être aussi de lutter contre un autre risque plus insidieux, dénoncé de l’autre côté des Pyrénées, par Josep Pamiès, le « José Bové » espagnol  : « non contents de faire figurer “stevia” sur leurs étiquettes, et donc de profiter de l’image verte de cette plante, les industriels de Coca Cola ou de Pepsi Cola vont pouvoir à loisir procéder à des modifications génétiques des graines de stevia, de sorte de leur faire produire de grandes quantités de rebaudiosideA ».

Pour l’instant, depuis mai  2010, Joël Perret coordonne un essai de culture de la stévia, selon les modalités de l’agriculture biologique, sur quelques dizaines d’ares, qu’il a initié en collaboration avec le Conseil général de l’Hérault et le Centre expérimental horticole de Marsillargues (CEHM), sur deux sites d’expérimentation, à Béziers et à Marsillargues. « Les premiers résultats sont très prometteurs », affirme Charly Fabre, ingénieur agronome de la Chambre d’agriculture de l’Hérault qui veille sur l’expérimentation menée à Marsillargues, « mais doivent encore être confirmés ». S’ils le sont, prochainement, la Stevia sera enfin cultivée en France !

Clara DELPAS

Réglementation 

* En France, seul l’extrait de rébaudioside A est autorisé temporairement, comme additif alimentaire (6 septembre 2009) et comme édulcorant de table (arrêté interministériel du 8 janvier 2010), jusqu’en septembre 2011.

* Un avis favorable de l’Agence Européenne de Sécurité des Aliments sur les autres molécules édulcorantes de la stevia devrait entraîner d’autres autorisations.

* La plante elle-même reste interdite tant à la culture qu’à la consommation, relevant de la réglementation européenne Novel Food qui exige un dossier toxicologique complet. Les choses pourraient changer en 2011.

En pratique

Guayapi Tropical   commercialise déjà des feuilles séchées de Stevia comme complément alimentaire. Et la maison du stevia ,  des plants sur internet.

Guayapi Tropical 55, rue Traversière 75012 PARIS http://www.guayapi.com

Stevia Natura http://www.stevia-natura.fr

La Maison du Stevia http://www.lamaisondustevia.com


 

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