paru dans Science Actualités en mars 2011
En Bolivie, des paysans se lancent dans la culture de la Stevia, dont les extraits sont de puissants édulcorants naturels, intéressant le marché des additifs alimentaires… Reportage sur le terrain.
Un nouvel engouement
Communauté d’El Salado, à 50 km au nord de Bermejo, sur la route de Tarija. Ici, dans ce paysage verdoyant, 80 familles ont entrepris de dédier 30000 m2 de leurs terres à la culture de la Stevia rebaudiana Bertoni, une plante buissonnante héritée des Indiens guaranis. Les « campesinos » (=paysans) d’El Salado ont auparavant bien étudié la question. Car, pour ces cultivateurs de canne à sucre, investir dans la culture de la Stevia demandait quelques garanties. Une étude préalable a su les rassurer : dans cette zone du sud de la Bolivie, à la frontière Argentine et à 416 mètres d’altitude, il fait 22,5 °C en moyenne toute l’année et il pleut suffisamment, pour que la Stevia s’y plaise : plus de 1100mm par an (1776 mm en 2008) répartis sur les 12 mois de l’année soit plus du double que dans la région viticole de Tarija, de l’autre côté des montagnes (616 mm/an) … La plante, qui pousse sans avoir besoin de produits phytosanitaires coûteux et de circuits d’irrigation, les a séduit en 2007. Ici, mais aussi dans d’autres régions de la Bolivie, elle est en train de gagner du terrain.
Feuilles de stevia contre feuilles coca ?
Pourtant, question feuilles, la Bolivie est plus réputée pour celles de coca, un symbole national ! Celles ci sont consommées traditionnellement par les boliviens, mais servent aussi à synthétiser de la cocaïne, illégale, et dont la Bolivie est le troisième producteur au monde… Or la stevia semble séduire aussi quelques paysans cultivateurs de coca, qui se reconvertissent à sa culture. Il faut dire qu’elle rapporte aujourd’hui plus que celle de la coca du narcotrafic ! (en 2008, le kilo de feuilles de coca se négociait autour de 3 euros, tandis que celui de feuilles de stevia rapporte plus du double, soit 7 euros environ !) . Des coopératives de producteurs de stevia se montent comme dans la région de Wernes (Santa Cruz), et des ONG financent des programmes, comme Frère des Hommes par exemple, qui a engagé un plan de plus de 80 000 dollars (environ 60 000 euros) pour aider les paysans de la région de Caranavi (La Paz) à se mettre à la culture de la Stevia. Un premier symposium sur la production et la commercialisation de la stévia en Bolivie , s’est même tenu à la dernière foire agricole de Santa Cruz le 15 avril 2010 : Il a confirmé que l’engouement bolivien pour la Stevia était bel et bien réel , même si pour l’instant, l’ensemble des surfaces qui lui sont consacrées restent faibles : de 12 à 15 hectares, contre toujours plus de 30 000 hectares pour la coca …
De la plante à l’extrait convoité de rebaudioside A
Les conquistadors espagnols notaient déjà comment avec une simple feuille les indiens Guaranis sucraient des jarres entières de maté. Un pouvoir sucrant expliqué dans les années 1930 par les analyses du chimiste Bertoni : les feuilles contiennent de nombreuses molécules édulcorantes notamment du stévioside (5 à10%) à l’arrière goût réglissé et le rebaudioside A (2 ou 4 %), 300 fois plus sucrant que le sucre! C’est d’ailleurs pour cela que la stevia a le vent en poupe , surtout depuis 2008 : la FDA (Food and Drug Administration) aux Etats-Unis a alors accepté que les firmes Coca-Cola et Pepsi-Cola en utilisent des extraits pour sucrer leurs sodas. Et cette autorisation très attendue par les industriels de l’agroalimentaire qui cherchent depuis longtemps un remplaçant à l’aspartame, accusé de nombreux maux, accroît de fait la demande en stevia… Pourtant, sur ce nouveau marché, les boliviens doivent se faire une place. Car la concurrence est rude et cela fait longtemps que la plante est cultivée de façon intensive… en Chine !
La Chine, premier producteur mondial
Dans les années 1960, les Japonais, sur le point d’interdire l’aspartame dans tous leurs aliments, ont rapporté des plants de stevia d’Amérique du Sud pour leurs pouvoirs sucrants et négocié avec les Chinois pour qu’ils la cultivent sur leurs vastes terres : à présent, les cultures chinoises de stevia s’étendent sur plus de 20 000 hectares ! De quoi produire plusieurs millions de kilos de feuilles, en considérant un rendement de 1500 à 3000 kg de feuilles par hectare. Et quelques milliers de tonnes d’extraits. La Chine contrôle aujourd’hui près de 80 % de la production mondiale, dont 2000 à 3000 T sont consommés tous les ans rien que par les Japonais et les Coréens. Même si de nombreux pays se sont depuis mis à la culture de la stevia : Inde, Australie, Israël, Russie, Afrique du Nord, États-Unis, Canada, Amérique du Sud, et…depuis cette année, France ! Un essai dans l’Hérault, autorisé par la DGCCRF, est mené sous la direction de la chambre d’Agriculture de l’Hérault !
Une place à prendre
En Bolivie, les conditions climatiques, proches de celles du lieu d’origine de la stevia, et les pratiques de culture, traditionnelles et peu versées dans l’agriculture intensive, devraient encourager la culture de cette plante. D’autant plus si les filières de transformation permettent sur place d’en obtenir directement des extraits purifiés. C’est déjà le cas, avec plusieurs entreprises, qui transforment la stevia et fabriquent les extraits. Même si en août 2010, un scandale de la stevia frelatée a éclaté : une association de consommateurs a fait analyser les extraits vendus par 4 firmes boliviennes qui se sont avérés être coupés à 20 % par de la saccharine ou du cyclamate de sodium. De quoi certes semer le trouble sur les ambitions boliviennes à prendre place sur ce marché mondial ( la Bolivie exporte déjà quelques 20 tonnes d’extraits à destination de l’Europe et de l’Iran, censés être purs… à 97% ! ). Mais aussi, plus probablement, d’instaurer de nouvelles procédures de contrôle et de nouveaux labels de qualité !
Un marché tributaire des autorisations mondiales
La stevia, en tant que plante (feuilles) était consommée aux Etats-Unis, à l’instar des indiens guaranis (les feuilles suffisent à sucrer) et classée à ce titre comme simple aliment. Mais un jour de la fin des années 1980, un industriel a eu l’idée d’en utiliser des extraits pour sucrer des biscuits commercialisés sur le marché. La FDA s’est saisie de l’affaire, car l’extrait de stevia n’avait jamais été homologué comme additif alimentaire. Pour ce faire, la FDA exige la constitution d’ un dossier toxicologique complet afin de garantir une innocuité absolue (d’où des études longues et coûteuses…). Ce n’est donc que depuis 2008 que l’extrait de rébaudioside A est autorisé aux Etats-Unis. Alors qu’il l’est…depuis 1970 au Japon ! Suivant de peu l’autorisation américaine, l’avis favorable de l’AFFSSA a conduit à l’autorisation de mise sur le marché français du rébaudioside A depuis 2009 comme additif alimentaire et depuis 2010 comme édulcorant de table. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ayant émis le 14 avril 2010 un avis favorable sur l’ensemble des glycosides de stéviols (stévioside, dulcoside A, rubusoside, steviolbioside, rébaudioside A, B, C, D, E et F) en tant qu’additifs alimentaires, on peut penser que les autorisations seront étendues aux autres édulcorants de la feuille de stevia. Et que le marché de la feuille de cette plante sucrante sera encore amené à s’étendre.