Vivre encore plus longtemps

Paru sur la Banque des Savoirs de l’Essone le 1/01/2004

En 1800, la France ne recensait qu’une seule personne âgée de cent ans. En 2050, elle devrait en compter 150 000. Si les progrès techniques ont permis d’allonger la durée de la vie, peut-on espérer disposer de moyens efficaces permettant de limiter les conséquences du vieillissement ?

L’étude du vieillissement reste indissociable de celle de la longévité. Pendant longtemps, on a cru que les êtres humains ne pouvaient pas dépasser l’âge de 100 ans. Quand le premier centenaire français a été recensé en France en 1800, il faisait figure d’exception. Mais en 1950, on comptait déjà 200 centenaires ; en 1960, ils étaient 400 ; aujourd’hui, ils sont près de 7 000, dont une trentaine de « super-centenaires », âgés de plus de 110 ans. En 2050, la France devrait compter 150 000 centenaires…

À la recherche des gènes déterminant la longévité
Les progrès de la génétique ont incité certains chercheurs à étudier les gènes des personnes très âgées. Il s’agissait de déceler les particularités génétiques conférant une longévité exceptionnelle : les fameux « secrets» des centenaires. La génétique n’a pas donné de réponse simple, mais soulève plusieurs pistes. Des gènes de longévité ont été clairement définis comme, par exemple, un gène protégeant contre la maladie d’Alzheimer et l’athérosclérose (un allèle du gène APOE). D’autres études, menées sur des familles de centenaires, ont attiré l’attention sur une particularité génétique responsable de la présence dans le sang de particules chargées du transport du cholestérol, qui ont une taille plus élevée que la moyenne.

On commence à vieillir dès qu’on naît
Le vieillissement commence dès la fécondation et ne cesse qu’à la mort. Il peut être défini comme l’ensemble des effets produits par le temps sur le fonctionnement de l’organisme. Dans une certaine mesure, le phénomène répond à une programmation génétique, puisque chaque espèce animale a une durée de vie qui lui est propre. Par ailleurs, on a décrit plusieurs maladies génétiques entraînant un vieillissement accéléré et une mort prématurée des êtres humains. Les syndromes les plus typiques de vieillissement précoce sont ceux de Hutchinson-Gilford et de Werner. Mais tout n’est pas si simple, et le vieillissement fait aujourd’hui encore l’objet de nombreuses hypothèses et spéculations. Toutes s’accordent néanmoins pour affirmer que le processus est inéluctable.

Les remèdes anti-vieillissement
Si tout le monde rêve d’une pilule de jouvence qui arrêterait, voire inverserait les effets néfastes de l’âge, les scientifiques étudient les vertus attribuées à certains antioxydants alimentaires, comme ceux que contiennent le chocolat noir ou le vin rouge. Les thérapies à base d’hormones, tels l’hormone de croissance ou le DHEAS, doivent être envisagées avec circonspection. En fait, les limites à la longévité humaine dépendent de deux types de facteurs, les uns imposés par une espèce d’horloge interne, les autres par l’environnement, et en particulier par l’air que chacun de nous respire et par la nourriture qu’il absorbe.

01.Principe de mortalité

« Le vieillissement est une affaire de cellules, de cellules qui ne fonctionnent plus correctement », résume Denis Herman, spécialiste en biologie du développement au Centre de Génétique Moléculaire (CGM) de Gif-sur-Yvette. Notre corps est composé de plusieurs milliers de milliards de cellules. Certaines d’entre elles sont capables de se multiplier pour remplacer celles qui meurent. Beaucoup d’autres, comme celles du cerveau, des muscles ou du cœur, ne peuvent plus se diviser et leur nombre décroît avec l’âge.

Nos cellules sont mortelles
Celles de nos cellules qui continuent à se diviser après la fin de la croissance ne peuvent pas le faire indéfiniment : le nombre de divisions qu’elles peuvent accomplir est limité. On estime qu’au total, une cellule typique d’un adulte normal peut se diviser environ 60 fois avant de devenir incapable de le faire. « Cela paraît peu, mais en fait, c’est beaucoup », explique Denis Herman, « à supposer que l’œuf dont provient chaque être humain se divise 100 fois, sans qu’aucune cellule fille ne meure, le corps atteindrait une taille gigantesque : il pourrait remplir une sphère de 130 km de diamètre, et pèserait plus de 10 tonnes ! ». La découverte de la sénescence cellulaire a remis en cause la prétendue immortalité des cellules. En effet, une théorie, qui paraissait solidement établie depuis le début du XXe siècle, avançait que n’importe quelle cellule, extraite du corps et convenablement cultivée, pouvait se diviser indéfiniment, donc était immortelle. En réalité, les cellules de l’organisme humain sont bel et bien mortelles.

Le vieillissement, effet du temps sur l’organisme
« Chaque fois qu’une cellule se divise, elle hypothèque son avenir », résume Denis Herman, « parce qu’elle perd du matériel génétique ». Chaque molécule d’ADN contenue dans le noyau n’est pas intégralement répliquée (copiée). Elle se raccourcit par ses deux extrémités, appelées télomères.
Le phénomène n’est pas anodin. Dans les années 80, des scientifiques américains ont prélevé des échantillons de sang sur 150 personnes âgées de plus de 60 ans. Quinze ans plus tard, ils les ont ressorti pour mesurer les télomères de l’ADN que contenaient les globules blancs. L’idée était de voir s’il y avait un lien entre la longueur des télomères et l’état de santé des personnes étudiées. Il s’est avéré que les individus qui avaient les télomères les plus longs avaient mieux résisté au vieillissement que ceux qui avaient les télomères les plus courts, et formaient une proportion plus élevée de la population encore en vie. Les survivants avaient moins souffert de maladies infectieuses, de dégénérescence cérébrale et de défaillance cardiaque. La résistance aux infections peut se comprendre parce que le fonctionnement du système immunitaire dépend de la capacité de prolifération des cellules productrices d’anticorps. Mais comment expliquer que le fonctionnement des cellules cérébrales et cardiaques, qui ne se divisent plus, soit apparemment affecté par la longueur des télomères ?

Une usure naturelle
Quel processus provoque l’érosion des télomères ? On a constaté que les cellules immortelles mettent en œuvre un mécanisme particulier, qui empêche leurs chromosomes de se raccourcir à chaque division. Une enzyme spéciale, appelée télomérase, ajoute aux télomères des tronçons d’ADN identiques à ceux que la réplication leur a fait perdre. En revanche, la plupart des cellules non reproductrices n’ont pas de télomérase et leurs télomères s’amenuisent progressivement avec l’âge. « Tout cela conduit à penser que pendant le développement embryonnaire, les cellules acquièrent un mécanisme qui les prive de télomérase et les rend mortelles », résume Denis Herman.

Pour atténuer les effets du vieillissement, il semblerait judicieux de faire réapparaître la télomérase dans les cellules mortelles. Mais le remède serait probablement pire que le mal, car la remise en service de la télomérase accroîtrait probablement le risque de développer un cancer. On a en effet observé que la plupart des cellules cancéreuses avaient récupéré leur activité « télomérasique » , c’est-à-dire produisaient à nouveau de la télomérase. Et ces cellules, qui, en quelque sorte, étaient revenues à l’état embryonnaire, devenaient aussi immortelles mais dangereusement cancéreuses. Si elle conduit assurément nos cellules à mourir, la perte de la télomérase pourrait donc être le mécanisme qui les protège naturellement du cancer.

02.Facteurs génétiques du vieillissement

Les maladies entraînant un vieillissement précoce sont assez rares. Le syndrome de Hutchinson-Gilford affecte les enfants dès le plus jeune âge. Le syndrome de Werner manifeste ses effets plus tardivement. Les malades présentent de nombreux signes de vieillissement qui apparaissent d’habitude à un âge plus avancé : rides, blanchissement et perte des cheveux, athérosclérose, ostéoporose, etc. Leurs cellules entrent en sénescence bien plus rapidement que celles des individus normaux. Mais il ne semble pas que les maladies soient dues à une érosion trop rapide des télomères, car les gènes impliqués ne sont pas ceux qui gouvernent la façon dont l’ADN est copié au cours des divisions cellulaires (réplication). La mutation à l’origine du syndrome de Hutchinson-Gilford, identifiée en avril 2003, affecte le gène de la lamine A, une protéine qui tapisse la paroi intérieure de l’enveloppe qui entoure le noyau de chaque cellule et garantit son étanchéité. La mutation qui provoque le syndrome de Werner, identifiée en 1996, touche un gène qui gouverne la production d’une enzyme qui agit sur l’ADN. Mais on ne sait pas vraiment comment cette enzyme est impliquée dans le phénomène du vieillissement. Malgré cette incertitude, il semble que les malades souffrent plutôt du mauvais état général de leurs cellules que de l’incapacité de celles-ci à accomplir un nombre suffisant de divisions.

Pour rechercher la part d’hérédité dans la longévité, des études statistiques ont été réalisées sur la base d’arbres généalogiques couvrant plusieurs siècles. Pour essayer de réduire la part qui revient aux facteurs sociaux (richesse, éducation, etc.) dans la détermination de la longévité, plusieurs groupes de chercheurs se sont intéressés à des groupes d’individus qu’ils supposent homogènes, tels les habitants du Groenland, ceux de la vallée de la Valserine dans le Jura, ou bien encore les aristocrates. D’autres études ont été menées sur des « vrais » et des « faux » jumeaux. « Les deux types de travaux font ressortir une composante familiale, donc liée à une communauté de gènes, dans la détermination de la durée de la vie », explique Denis Herman. Cette contribution est assez modeste (autour de 20%). « Ce qui signifie que la plupart des individus meurent pour toutes sortes de causes (accidents, maladies), qui n’ont rien à voir avec l’état de leurs gènes».
« Il est probable que les centenaires vivent vieux, souligne Denis Herman, simplement parce que leur génome est dépourvu d’anomalies génétiques provoquant des maladies héréditaires ou d’allèles prédisposant à souffrir de diverses affections à un âge avancé.»

Depuis quelques années, des études génétiques sont menées sur des populations de centenaires, à la recherche de facteurs expliquant leur longévité. Elles ont permis d’établir qu’un allèle particulier d’un gène protégeant contre la maladie d’Alzheimer et l’athérosclérose se rencontre fréquemment chez les centenaires : ce gène, appelé APOE, produit une molécule impliquée dans le transport du cholestérol dans le sang, l’apolipoprotéine E4 (apoE4). « Tout récemment, en octobre 2003, une équipe américaine a constaté que chez une fraction importante des centenaires, le cholestérol est transporté par des particules de très grande taille», précise encore Denis Herman. « Par ailleurs, beaucoup de ces personnes portent un allèle particulier d’un gène (CETP), dont le produit tend à accroître la proportion du mauvais cholestérol dans le sang; mais la pertinence de ces observations est contestée par d’autres auteurs.»

03.L’oxygène, un poison vital

Une cause majeure de vieillissement est à rechercher dans l’oxygène. C’est une découverte étonnante qui remonte aux années 70 et qui peut sembler paradoxale, car rien ne paraît plus vital que l’oxygène que nous respirons. Pourtant, l’oxygène nous tue parce qu’il est capable d’oxyder beaucoup de substances (il fait par exemple rouiller le fer…). Ce n’est pas l’oxygène qui est en soi dangereux, mais deux de ses dérivés qui se forment dans les mitochondries : l’anion superoxyde et le radical hydroxyle. L’un et l’autre sont des radicaux libres, particulièrement agressifs pour les cellules et capables de les détruire. La production de radicaux libres crée un stress oxydatif qui entraîne une cascade de réactions biochimiques, cause majeure du vieillissement cellulaire.
Tout récemment, une équipe du laboratoire du professeur Anne Sainsard-Chenet, au Centre de Génétique Moléculaire de Gif-sur-Yvette, a montré qu’il existe un lien de cause à effet entre la respiration et le vieillissement. Pour cela, ils ont utilisé un organisme qui paraît très éloigné de l’homme, le champignon filamenteux Podospora anserina. Normalement, ce champignon se procure l’énergie dont il a besoin en « brûlant » des combustibles cellulaires, qu’il fait réagir avec l’oxygène. Mais, contrairement aux animaux, il peut aussi utiliser une voie, dite alternative, qui ne recourt pas à l’oxygène, mais produit beaucoup moins d’énergie : la fermentation. En coupant la voie respiratoire, l’équipe a montré que la production de radicaux libres diminuait et que la longévité du champignon était considérablement augmentée. « Dans les conditions habituelles, ce champignon arrête sa croissance lorsqu’il a atteint 10-15 cm (en 15-20 jours) ; à la suite à l’expérience, la plupart des mutants ont dépassé 2,50 m et poussent toujours après plus de deux ans », expliquent les chercheurs. Nous ne sommes pas comme Podospora, parce que nous ne pouvons pas nous passer d’oxygène. Mais notre métabolisme énergétique peut être diminué, simplement en diminuant l’apport en calories de l’alimentation.

04.Une réponse dans l’alimentation ?

« On a constaté qu’en réduisant la ration alimentaire de souris ou de rats élevés en cage, on augmente de plus de 50% leur longévité potentielle », rappelle Denis Herman. On sait aussi déjà depuis quelques temps qu’un autre animal de laboratoire, le ver Caenorhabditis elegans, est capable d’interrompre la croissance de ses larves en cas de restriction alimentaire, grâce au gène (daf-2). En période de disette, le gène daf-2 est activé et produit une substance qui rend les cellules aptes à répondre à l’insuline, une hormone impliquée dans le contrôle du métabolisme des sucres. Une simple mutation dans le gène daf-2 suffit pour multiplier par un facteur 2 à 5 la durée de vie moyenne de l’animal.

Surveiller ce que l’on mange et ne pas trop manger pourrait être l’une des recettes les plus efficaces pour vivre longtemps, parce que le rationnement réduit notre métabolisme, donc la production de radicaux oxydants. Une autre recette de longue vie, plus facile à mettre en œuvre, consiste à piéger les radicaux libres qui apparaissent dans les mitochondries. Pour cela, les chercheurs tentent de découvrir les substances anti-oxydantes les plus efficaces. Ils continuent aussi d’étudier la cellule, qui dispose de mécanismes de défense assez performants contre les radicaux libres. Ainsi, au CEA de Saclay, dans le Laboratoire des Stress Oxydants et Cancer, l’équipe de Michel Toledano étudie précisément la façon dont les cellules réagissent au stress oxydatif.

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Les fruits et légumes, sources de vitamines et d’antioxydants, sont nos alliés pour vivre plus longtemps.© Flickr.com

D’autres équipes testent les propriétés anti-oxydantes de substances qui pourraient être apportées par l’alimentation. Les vitamines C et E sont des antioxydants efficaces. La première est présente en abondance, notamment dans les fruits et légumes verts. Le vin rouge renferme les substances les plus prometteuses, parmi lesquelles figure le resvératrol. Produit en réponse à un stress (l’attaque de parasite ou la privation d’eau), ce polyphénol devrait être particulièrement concentré dans les vins produits en 2003. Lors d’études en laboratoire, des chercheurs ont découvert que le resvératrol prolonge de 70 % la durée de vie des cellules de levure, c’est-à-dire accroît de 70 % le nombre de bourgeons que les cellules mères sont capables de produire avant de devenir sénescentes. Le resvératrol ne se trouve pas seulement dans le vin rouge. Il en existe aussi dans les arachides, l’huile d’olive et d’autres aliments tirés de plantes. Une autre étude très récente a établi que le cacao possède aussi un certain pouvoir antioxydant, atténué toutefois par les protéines du lait, d’où l’intérêt du chocolat noir.

On dit qu’Alexandre le Grand rechercha la fontaine de jouvence, dont l’eau était censée atténuer ou même inverser les outrages des ans. Les thaumaturges que sont devenus les biologistes n’ont pas encore réussi à concrétiser le rêve du conquérant.

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