À qui appartiennent les ressources énergétiques de l’Islande?

Article écrit pour Novethic en juin 2013

Malgré l’impact environnemental délétère des barrages sur l’environnement, et l’opposition d’une partie de la population, l’Islande, qui vient d’élire un nouveau gouvernement, poursuit le développement de sa production hydroélectrique  pour les besoins de multinationales étrangères. Une vieille histoire.

Mi-mars 2013, les médias islandais ont révélé un scandale environnemental : la mort du lac Lagarfljót, aux environs de la ville d’Egilsstaðir, au nord-est de l’île, qu’alimente depuis 2008 les eaux du barrage de Kárahnjúkar. Révélée par le rapport annuel de la Landsvirkjun, la compagnie nationale d’électricité, la turbidité du lac long de 92 km et jadis paradis des pêcheurs, a considérablement augmenté : en cause, le détournement d’une rivière glaciaire pour alimenter le réservoir du barrage. Les rivières glaciaires charrient en effet beaucoup de sédiments, rendant la photosynthèse difficile, et donc la survie des poissons. L’ichtyologue Guðni Guðbergsson, de l’Institut des pêcheries d’eau douce, confirme : la densité de population de l’omble arctique et de la truite brune a diminué de 80 % depuis 2008. Même si la quantité de sédiments dépend de la fonte des glaciers, qui peut varier selon les années, le constat est inquiétant.”

Une catastrophe prévisible 

Dès 1999, tous les rapports scientifiques alertaient sur l’impact du projet de ce barrage pharaonique sur la qualité des eaux. Mais, malgré les avis négatifs des agences nationales de l’environnement et de conservation de la nature, l’opposition des associations écologistes et d’une grande partie de la population islandaise, la ministre de l’environnement en poste en 2002, Siv Friðleifsdóttir donnait son accord, pour les travaux, témoignant d’une stratégie politique de développement du pays plus forte que toutes les considérations environnementales.

L’Islande dispose de ressources naturelles renouvelables (hydrauliques et géothermiques) lui permettant de remplir 80 % de ses besoins en énergie. Depuis le début des années 1990, les énergies fossiles n’y servent qu’aux transports. Grâce à une clause spécifique dans le cadre du protocole de Kyoto, elle a même été autorisée à augmenter ses émissions de gaz à effet de serre de 10 %. Dès lors le pays a projeté la construction de nouveaux barrages et centrales, destinés à augmenter sa production hydroélectrique. Non pour ses 320 000 habitants, déjà pourvus, mais pour séduire des multinationales étrangères particulièrement gourmandes électricité, avec un kWh   trois fois moins cher que dans le reste de l’Europe, et, comme tout kWh produit par hydroélectrité, bien moins émetteur de CO2[1]. Première cible visée  : les fonderies d’aluminium, invitées à s’installer dans les Fjords islandais . 

… mais une aubaine pour les producteurs d’aluminium

Grâce à ses trois fonderies[2], l’Islande compte   aujourd’hui pour 2 % dans la production mondiale d’aluminium (40 millions de tonnes) sans en détenir un seul gisement. Avec 803 210 tonnes produites en 2012 , le métal représente aujourd’hui  plus de 40% des exportations du pays, soit autant que les produits de la pêche … en consommant les trois quarts de sa production annuelle d’hydroélectricité (17 TWh). Avec une quatrième fonderie en construction prévue pour fin 2013 à Helguvik ( Century Aluminium), l’Islande devrait franchir la barre du million de tonnes à l’horizon 2014, sur un marché en progression constante.

Les bénéfices réels pour le pays restent incertains : le coût contractuel de l’électricité pour ces multinationales, secret d’État, a été rivé au cours de l’aluminium, en baisse depuis quelques années. Ainsi la Landsvirkjun accuse dans son rapport 2012[3] une baisse de revenus de 6,5 % qu’elle explique par une diminution de 15 % du prix à la tonne (autour de 2000 dollars en 2013). Par ailleurs, les médias ont révélé que les multinationales étrangères ne payaient pas de taxes locales sur les entreprises. Si l’industrie de l’aluminium avec ses quelque 4000 employés compte désormais pour près de 15 % dans le PIB du pays, le coût de construction des barrages, supporté par l’État, pèse lourd dans les charges du pays : avec plus d’un milliard et demi de dollars pour celui de Kárahnjúkar , qui alimente la fonderie d’Alcoa, la politique énergétique islandaise a certainement compté dans la faillite du pays en 2008[4]. Sans compter les dégâts collatéraux : l’Agence Nationale de l’Environnement accuse aujourd’hui Alcoa de ne pas contrôler les émissions de fluorures de sa fonderie Fjarðaál  implantée à Reyðarfjörður, petit village des fjords de l’Est, toutes les zones agricoles alentour ayant été contaminées.

Mais l’Islande continuera sans doute encore longtemps à être le « petit secret le mieux gardé des multinationales de l’industrie de l’aluminium », comme la qualifiait déjà Valgerður Sverrisdóttir, la ministre de l’industrie en poste en 2002…. Son  parti  (le  parti  progressiste)  vient  d’être  réélu, avec le  parti  de l’indépendance, à la tête  du  pays aux  dernières élections législatives  du  pays,  le  27  avril  dernier. Et il compte dans ses rangs le premier ministre  Sigmundur Davið Gunnlaugsson et le ministre de l’environnement  Sigurður Ingi Jóhannsson ( auquel a été également confié le ministère de l’agriculture et de la pêche).  Le premier ministre a déclaré  à la télévision islandaise  la levée de toutes les restrictions environnementales limitant le programme-cadre sur le développement hydroélectrique (et notamment le déclassement des zones protégées instaurées par le précédent ministère, écologiste[5].  D’autres  étendues  sauvages devraient donc être sacrifiées  pour  augmenter  la  production  d’hydroélectricité  islandaise,  potentiellement  de  30 TWh/an. Selon ce plan, au moins 10  barrages  supplémentaires   devraient être construits dans  les  Hautes  Terres inhabitées de l’île d’ici 2020.  Le  premier,  le  barrage  de Búðarháls,  sera  achevé  fin  2013, et exclusivement  dédié  aux  besoins  de la  fonderie  de  Straumsvik  (Rio Tinto Alcan),  qui  vient d’être   agrandie. 

Les autres devraient servir à  alimenter de nouvelles fonderies, mais aussi des cimenteries et des centres de stockages de données informatiques qui nécessitent une climatisation elle aussi très gourmande en électricité. Voire même un projet fou de câble sous-marin destiné à fournir l’Europe en électricité verte. Au nom de la lutte contre le réchauffement climatique.

Clara DELPAS


[1] 1KWh n’émet que 4g de CO2 s’il est produit par hydroélectricité, contre 978 g s’il est produit par une centrale au charbon.

[2] Straumsvik, Grundartangi et Fjarðaál, respectivement propriétés de Rio Tinto Alcan (depuis 1969), de Century Aluminium (1998) et d’Alcoal (2008))

[3] http://www.landsvirkjun.com/media/pdf/Press_release_Financial_Statements_2012.pdf

[4] comme l’affirme l’islandais Andri Snaer Magnason , auteur du documentaire « Dreamland » (lien : http://dreamland.is/)

[5]article en anglais de grapevine.is http://grapevine.is/Home/ReadArticle/government-reviews-restrictions-on-energy-development

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