Covid oblige, les médicaments battent tous les records de vitesse dans leur mise au point. Ainsi du Paxlovid de Pfizer, développé en 12 mois. Mais, présenté comme un remède miracle contre les formes graves, (et aujourd’hui le seul, les anticorps monoclonaux ayant été abandonnés) il a fait un flop en Europe et aux États unis. On vous raconte son histoire.
L’histoire de la découverte étonnante du Paxlovid démarre le vendredi 13 mars 2020. Ce jour-là, les laboratoires Pfizer de Cambridge dans le Massachusetts ferment pour cause de pandémie, et ils renvoient leurs salariés chez eux. Parmi eux, le directeur du département de chimie médicale, Dafydd Owen, est invité à réfléchir aux ressources dont il aurait besoin pour diriger un programme de développement d’un médicament oral pour lutter contre la pandémie émergente. Depuis 20 ans qu’il est chez Pfizer, d’abord sur le site de Sandwich, en Angleterre, puis depuis 2011, aux États-Unis, Dafydd Owen n’a encore jamais travaillé sur un tel médicament — il n’a pour l’heure exercé ses talents de chimiste que dans des programmes menés en oncologie, gestion de la douleur et maladies cardiovasculaires. Mais il se sent prêt à relever ce défi, d’autant que le terrain a déjà été défriché par d’autres chercheurs, et pas qu’un peu : en 2003, ils ont mis au point un antiviral, le PF-00835231, capable de bloquer la réplication d’un autre coronavirus, le SARS-Cov1, alors responsable d’une épidémie de SRAS. Le développement du médicament avait été stoppé net, n’ayant pu être testé sur les patients puisque l’épidémie s’était alors arrêtée aussi vite qu’elle était apparue ! L’épidémie de Covid-19 due au SARS-Cov2 était une bonne occasion de ressortir la molécule du placard… et de l’améliorer. Car le PF-00835231 ne peut être administré que par voie intraveineuse, à l’hôpital donc. Le laboratoire ambitionne de mettre au point un traitement par voie orale. Mais il faut résoudre un problème majeur de chimie car le PF-00835231 est dégradé dans l’intestin. Dafydd Owen modifie sa formule, lui ajoutant du trifluoroacétamide pour l’empêcher de se dégrader dans l’intestin, ainsi qu’une molécule de nitrile, très facile à fabriquer et permettant de garantir la biodisponibilité orale du médicament.
Un développement record
C’est ainsi que le 22 juillet 2020, les chimistes de Pfizer synthétisent pour la première fois le PF-07321332 ou nirmatrelvir. Après avoir montré sa bonne activité antivirale contre le SRAS-CoV-2 in vitro, ils le testent chez le rat : le 1er septembre 2020, les résultats de l’étude pharmacocinétique montrent qu’ils sont sur la bonne voie. Pour fabriquer leur candidat antiviral, l’équipe combine alors le PF-07321332 avec le ritonavir, un antiviral utilisé pour traiter le VIH et l’hépatite C. Ce dernier n’a aucune action contre le SRAS-CoV-2, mais en se liant aux enzymes métaboliques de l’intestin, il les empêche de dégrader le PF-07321332, lui permettant de franchir la barrière intestinale et d’aller bloquer le virus partout où il se trouve, en se liant à la protéase qui lui permet de se répliquer. Le Paxlovid, combinaison de nirmatrelvir et de ritonavir, est né. Début novembre 2020, les études toxicologiques démarrent, avec 1,4 kg du médicament, fabriqué par les chimistes. Et en à peine un an, le développement du médicament est achevé, essais cliniques sur l’homme compris : un temps record ! Dès novembre 2021, Pfizer annonce que le Paxlovid réduit le risque d’hospitalisation et de décès de 88 % chez les adultes à risque. C’est bien plus que son concurrent de chez Merck, le Molnupiravir, en attente alors d’être mis sur le marché. Lui ne réduit a priori ce risque que de 50 % (et en réalité, comme le montrèrent peu après les études, plutôt de 30 %…). Il sera d’ailleurs dès le 9 décembre 2021 recalé en France par la haute autorité de santé, malgré l’avis favorable des autorités européennes. La précommande de 50 000 doses qui avait été faite par Véran fin novembre s’est d’ailleurs trouvée peu après annulée !
Le Paxlovid est promis à un meilleur avenir : la FDA émet une autorisation d’utilisation d’urgence et dès le mois de janvier 2022, le gouvernement américain commande de quoi traiter 20 millions de personnes. L’Europe suit peu après, et avec elle la France, qui en commande quelque 500 000 doses (soit 10 fois plus que de Molnupiravir !).
… mais des espoirs vite déçus
Le médicament miracle est surtout une manne pour le Laboratoire Pfizer : sa vente lui permet d’engranger 19 milliards de dollars en 2022, avec quelques 27 millions de doses de vendues… En France, 500 000 doses sont précommandées pour un coût de près de 250 millions d’euros… Pour les pays qui en ont acheté, c’est vite la désillusion : la prescription est terriblement compliquée, devant se faire dans les cinq jours qui suivent les premiers symptômes — ce qui impose un système de tests efficace et opérationnel. La liste des interactions médicamenteuses est considérable, par exemple avec les statines. Les effets secondaires imposent souvent l’arrêt prématuré du traitement. Son efficacité laisse à désirer : Joe Biden contractant le Covid au début de l’été lui fait une très mauvaise publicité ; traité par le Paxlovid, voilà qu’il est testé quelques jours plus tard à nouveau positif au Covid ! Un « effet rebond » fréquent mais quelque peu problématique… Les spécialistes ont beau s’empresser de relativiser la chose en disant que c’est toujours moins grave que de se retrouver à l’hôpital ou de mourir, on se méfie de cette « pilule miracle » qui donne en plus mauvais goût à la nourriture et n’empêche pas la transmission de la maladie… mais surtout, fin août 2022, une étude israélienne menée sur 109 000 patients montre que le traitement ne réduit les hospitalisations que chez les plus de 65 ans (et de 75 %, pas de 88 %…). Chez les plus jeunes, âgés de 40 à 65 ans, son administration n’est d’aucun bénéfice ! Malgré ces éléments, les autorités sanitaires françaises ont décidé d’encourager la prescription de ce médicament auprès des personnes à risque ayant contracté le Covid, âgées de plus de 65 ans ou, plus jeunes mais présentant des facteurs de risque.
Il faut dire que selon l’enquête Epi-Phare parue fin octobre, seules 54 181 doses ont été écoulées… Fin novembre, le Pr Brigitte Autran, l’immunologiste à la tête du comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) pour encourager les médecins à le prescrire fait la promotion du médicament sur France 2 En décembre, les modalités de délivrance du Paxlovid sont même facilitées, les pharmacies d’officine étant autorisées à « disposer d’un stock d’avance d’une ou deux boîtes de Paxlovid issues du stock État » (DGS-Urgent 22 décembre). Les près de 1300 personnes qui sont toujours en réanimation ou en soins critiques dans l’Hexagone en raison du Covid au 11 janvier auraient-elles pu éviter de se retrouver là si elles avaient pu recevoir du Paxlovid ? Nul ne le sait, mais il est sûr que l’ accès facilité et toutes ces doses disponibles ont attiré de nombreuses convoitises, épidémie en Chine oblige ! Car c’est un trafic inédit qui se déroule désormais, par l’entremise d’ordonnances étrangères mais aussi parait-il de fausses prescriptions de médecins généralistes français, notamment en Île-de-France, dans le Grand Est ou encore en région PACA, selon les informations du syndicat des pharmaciens d’officine. Certaines pharmacies écouleraient ainsi chaque semaine des centaines de boîtes de Paxlovid. L’Allemagne et les pays asiatiques seraient les destinations de ces produits que les trafiquants n’hésiteraient pas à monnayer 200 euros la boîte sur place, alors qu’elles sont vendues dans les pharmacies françaises à moins de 4 euros remboursables par la Sécurité sociale aux patients…Voici comment un traitement miracle que l’on voudrait donner chez nous à ceux qui sont pourtant normalement déjà protégés par la vaccination devrait finir au bout du compte dans des pays comme la Chine où les vaccins se sont révélés au mieux inefficaces au pire inexistants…