Paru sur Sciences Actualités le 05/08/2009
Il est établi que la proximité d’un site minier expose l’environnement et les populations à une contamination par des métaux lourds. Mais en quantifier les effets est un exercice scientifique complexe. Reportage sur les sites miniers boliviens où l’IRD mène actuellement (en 2009 donc) des recherches.
Perché à plus de 3700 m d’altitude en pleine cordillère des Andes, l’Altiplano (« haut plateau » en espagnol) semble être un modèle idéal pour étudier l’impact sur l’environnement d’une des activités humaines les plus polluantes de la planète : l’exploitation des mines qui y a cours depuis plus de cinq siècles. Les Incas, puis les Espagnols ont puisé dans ces gisements polymétalliques l’or et l’argent qui ont fait la richesse de leur royaume (ici, c’était encore le Pérou, la Bolivie n’existant que depuis le début du XIXe siècle). Aujourd’hui, on y cherche l’étain, le métal de notre modernité, celui des balles des fusils, des boîtes de conserve et de toutes les soudures de la planète…
Une pollution vieille de cinq siècles
De ces mines, autour desquelles on a construit d’imposantes cités comme celles de Potosí ou d’Oruro, on a extrait tant d’argent, dit la légende, qu’on aurait pu en faire un pont reliant l’Amérique à l’Europe… voire un deuxième pont, avec tous les os des Indiens et des esclaves africains morts à la tâche. Cette exploitation intensive des hommes et des ressources minières n’est pas sans laisser de traces. Il suffit d’observer les paysages pour constater l’étendue des dégâts. L’objectif du projet pluridisciplinaire ToxBol, mis en place par l’Institut pour la Recherche et le Développement (IRD) en 2007, est de quantifier les effets de la pollution minière sur l’environnement et la santé des populations.
À la recherche d’un modèle
Les eaux de la région d’Oruro collectent dans leurs sillons tous les déchets miniers avant de se déverser dans le lac Uru-Uru, qui lui-même communique avec le lac Poopó, situé légèrement plus bas. « Le lac Poopó devrait plutôt s’appeler lac Poubelle », ironise Carla Ibáñez, chercheuse bolivienne associée au projet ToxBol. Depuis longtemps, on sait qu’il est contaminé par tous les métaux lourds colportés par les Ríos qui s’y jettent. À commencer par les pêcheurs qui voient parfois des dizaines de pejerreyes, ce poisson fort apprécié des gastronomes, remonter ventre à l’air à la surface du lac ! Le lien avec l’activité minière semble évident, mais il est difficile à quantifier précisément, du fait de la richesse métallifère naturelle de la région. Le lac fournit en tout cas un bon modèle d’étude d’exposition aux métaux lourds.
Chaîne alimentaire : la surprise !
En étudiant les poissons pejerrey (Basilichthys bonariensis) et carache (Orestias agassizii), les scientifiques ont fait une constatation surprenante. Une équipe de l’Université Mayor de San-Andrès, partenaire du projet Toxbol, a trouvé des concentrations de métaux lourds bien plus élevées dans les micro-crustacés des lacs que dans les poissons. Cette découverte est quelque peu inattendue puisque, habituellement, la contamination augmente au fur et à mesure que l’on progresse dans la chaîne alimentaire. Les poissons qui se nourrissent notamment de ces micro-crustacés (Artemia cf. franciscana et Boeckella meteoris) devraient donc être bien plus contaminés qu’ils ne le sont.
Surtout d’ailleurs les poissons du lac Poopò, dont l’eau est salée. En effet, dans un lac d’eau salée, les poissons sont plus petits que leurs congénères d’eau douce, ayant par défaut moins de ressources alimentaires et se nourrissant presque exclusivement de micro-crustacés. Les scientifiques s’attendaient donc à une contamination encore plus forte. Or ce n’est pas le cas, les poissons s’avèrent être, là encore, moins contaminés que prévus. Pendant la saison humide, le taux de métaux lourds que l’on peut doser dans leur tête, dans leur chair ou dans leurs viscères ne semble même pas dépasser les normes limites de consommation.
Pourquoi le lac Poopó est-il salé et pas le lac Uru-Uru ?
Le lac Poopó est situé en contrebas d’Uru-Uru, il est le réceptacle final de toutes les eaux d’Oruro. Les bords du lac Popoò reflètent sa salinité. La configuration géologique particulière de la région – un bassin fermé de type endoréique – y entraîne, par évaporation, la concentration de tous les minéraux. Par assèchement progressif, il est voué à devenir un salar (désert de sel), à l’instar du salar de Uyuni, un peu plus au sud… ou du désert d’Atacama (Chili).
Question de méthode… ou paradoxe scientifique ?
Les études environnementales menées sur les milieux vivants doivent bien sûr tenir compte des particularités ambiantes, comme le fait qu’il s’agit de poissons spécifiques aux lacs de cette région. Par ailleurs, elles concernent, au-delà de l’étude particulière des poissons, l’effet de la contamination métallique sur l’ensemble du lac. Bien d’autres données sont donc en train d’être recueillies. Les chercheurs de l’IRD travaillent aussi à établir un indice d’intégrité biologique pour, à terme, pouvoir élargir l’étude en comparant les données recueillies ici avec celles d’autres études menées ailleurs.
Toutefois, même s’ils sont en cours d’analyse et doivent donc être interprétés avec beaucoup de prudence, les premiers résultats sont quelque peu surprenants. Et invitent à la recherche d’explications. Pourquoi cette faible contamination des poissons ? Est-ce plutôt lié à un rôle inconnu de la salinité, à la dilution des métaux durant la saison humide (le niveau d’eau du lac étant alors plus élevé) ou au métabolisme physiologique des poissons ? Autre hypothèse envisageable : un effet positif du zinc. « Le zinc est l’un des premiers contaminants que l’on retrouve chez les poissons. Il pourrait modérer l’absorption des autres métaux… », explique François-Marie Gibon, biologiste écologue à l’IRD.
Santé humaine : des corrélations délicates à établir
Une équipe de géochimistes a dosé les métaux lourds (plomb, arsenic, antimoine, zinc…) dans l’environnement, en particulier sur les lieux d’habitation et dans les écoles, par analyse de l’eau potable et des poussières en suspension dans l’air. Des géographes ont ainsi pu établir des « cartes de vulnérabilité et de risque d’exposition » dans l’ensemble de la ville d’Oruro.
Parallèlement, et toujours dans le cadre du projet ToxBol, une étude de suivi mère-enfant baptisée Mi niño a démarré en 2007 dans deux hôpitaux de la ville d’Oruro, l’Hospital de Segundo Nivel Barrios Mineros et la Policlínica 10 de febrero – Caja Nacional de Salud. 455 femmes ont été suivies durant toute leur grossesse et avec leurs enfants, mois après mois, tout au long de la première année. Des examens biologiques visaient à doser précisément ces métaux lourds dans l’organisme et à en corréler les concentrations retrouvées dans le sang, les urines ou les cheveux avec d’éventuels troubles de santé. Ces liens ne sont pas simples à établir : par exemple, les chercheurs ont constaté que 84 femmes (soient 18,46%) avant d’entrer dans l’étude, avaient eu des avortements spontanés. « Immédiatement, on pense à une forte exposition au plomb. Mais ce n’est apparemment pas le cas ici, puisque les dosages menés sur les lieux d’habitation n’ont pas révélé d’exposition particulièrement alarmante ! », précise Flavia Barbieri, médecin du projet. La cause précise de ces avortements reste donc à trouver.
La tâche est à Oruro probablement plus délicate qu’au village de Cantumarca, situé juste au pied des millions de tonnes de déchets des mines de la ville de Potosí. Un village qui modélise à l’inverse une exposition polymétallique massive à l’arsenic, au plomb, au cadmium et à l’antimoine… En mars 2009, un groupe de chercheurs boliviens du SOPE (Société d’écologie de Potosí) a publié ses résultats : les villageois présentent des troubles de santé (principalement conjonctivites, problèmes respiratoires et verrues) dont la fréquence a pu être effectivement corrélée à l’importance de l’exposition, mesurée par des relevés d’échantillons de poussières dans l’environnement. « L’incidence des verrues palmaires chez les enfants, qui jouent dans les terrils comme dans des bacs à sable, est particulièrement élevée, constate Rosario Tapia Montesinos, biologiste responsable du projet. L’origine en est la forte concentration en arsenic de ces terrils, que l’on sait produire une hyperkératose, à l’origine de tels troubles. »
Des facteurs complexes et multiples
Autre effet possible d’une exposition aux métaux lourds : les troubles de développement de l’enfant. On sait, par exemple, que le plomb est à l’origine du saturnisme. Mais là encore, l’interprétation des données n’est pas évidente. Si l’analyse des courbes de croissance et les tests psychomoteurs fournissent un cadre de référence, comment être sûr que les perturbations observées ne sont pas liées à la malnutrition, très fréquente dans cette région du monde ? Ou aux spécificités biologiques des organismes vivant à de telles altitudes (on sait par exemple que les enfants ont des courbes de croissance dans les limites les plus basses…) ? Enfin, d’autres examens (cultures cellulaires, dosage de cytokines, échographie du thymus à l’âge d’un an, étude cytologique des prélèvements de cellules de la muqueuse buccale chez la mère et l’enfant) visent à évaluer les effets de la pollution minière sur le système immunitaire et sur les risques de cancer. Les données sont encore en train d’être récoltées et ce, jusqu’à la fin 2009, date à laquelle s’achève le projet ToxBol. Pour l’heure, difficile de conclure. Mais l’analyse doit se poursuivre une fois les études sur le terrain achevées. Affaire à suivre, donc.
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