paru dans Alternative Santé avril 2008
Mangerons-nous bientôt de la viande clonée ? Après l’avis de la FDA américaine, et de l’EFSA européenne, on aurait pu penser que oui. Mais l’affaire n’est pas si entendue que cela : le clonage a ses fermes opposants !
Fin décembre 2007, la FDA (Food and Drug Administration), l’organisation américaine chargée d’autoriser la mise sur le marché des aliments et des médicaments, a donné son accord à la commercialisation de viande et de lait issus d’animaux clonés. Dans la foulée, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), sollicitée par la Commission Européenne pour rendre un avis scientifique sur la question, a elle aussi émis un avis favorable, mi-janvier 2008, jugeant, sur la base du rapport de la FDA, que les aliments provenant de clones d’animaux ne présentaient pas plus de danger que ceux issus d’animaux conçus de manière traditionnelle. Enthousiasme unanime? Pas vraiment ! Le groupe européen sur l’éthique dans les sciences et les nouvelles technologies (GEE) a pour sa part émis un avis défavorable sur ces perspectives, avis qu’il a soumis à l’évaluation des citoyens européens via une consultation publique sur internet qui s’est déroulée jusqu’à fin février!
Clone, vous avez dit clone ?
Pour les scientifiques, le clonage n’est rien d’autre qu’une technique de reproduction, comme l’insémination artificielle ou la fécondation in vitro. En un peu plus sophistiquée. Le but ? « Répliquer » à l’identique un animal, sans risquer que ses gènes ne se mélangent avec ceux d’un autre parent ! Pour cloner un animal, on prélève une de ses cellules somatiques, par exemple, une cellule de la peau, dont on subtilise le noyau, qui contient l’information génétique de l’animal, pour le transférer dans un ovule au préalable vidé de son contenu. Ainsi, le nouvel œuf ne contient que l’ADN de l’animal (mâle ou femelle) que l’on veut reproduire. Il reste ensuite à activer le développement de l’œuf (par une petite secousse électrique), puis à transplanter l’embryon de clone dans l’utérus d’une mère porteuse. À terme, l’animal qui naît est une réplique génétique exacte de celui, initial, que l’on a cloné.
Le premier mammifère né de cette technique est la brebis Dolly, clonée par les écossais de l’institut Roslin, en 1996. Aujourd’hui la méthode s’applique à toutes sortes d’animaux, par exemple aux vaches laitières depuis 1998, voire même aux hommes bien que l’on ne les fasse pas parvenir à terme.
Une technique pas vraiment sûre
Si la technique semble au point, le taux d’échec est important. Pour 100 embryons clonés, à peine 10 parviendront à terme, et moins de 7 survivront à la période périnatale. Les gestations sont plus compliquées : les vaches porteuses de clones présentent un taux important de césariennes, la mortalité et la morbidité des clones est plus grande. Enfin et surtout, la vitalité des clones semble en cause : leur longévité est amoindrie. Ainsi Dolly, née en 1996, est morte en 2003, malade et beaucoup plus faible que ses cousines conçues normalement et qui ont vécu, elles, leur dizaine d’années de vie de brebis.
Ces différentes questions et subséquemment la qualité problématique de la viande ainsi produite, n’ont pas alarmé les experts de la FDA. Ils ont relié la mauvaise santé des clones au fait d’avoir vécu longtemps en captivité sans avoir bénéficié de la vie habituelle du bétail. Et ils ont attribué les échecs de la technique et les problèmes rencontrés à la naissance au simple manque de pratique des cloneurs. Ainsi dédouanés de tout questionnement, les clones ont obtenu l’aval de la FDA pour, après l’abattoir, finir comme bifteck dans nos assiettes !
Mais on peut légitimement douter de la valeur de cette expertise quand on découvre que les experts cités appartiennent … précisément aux deux compagnies américaines de biotechnologie, Cyagra et Viagen, spécialisés dans le clonage d’ animaux de ferme ! À elles seules, elles ont en effet fourni près du quart des données scientifiques du rapport de la FDA ! Impossible alors de ne pas se poser la question des intérêts qui se cachent derrière cette volonté obstinée de faire autoriser des produits dont les techniques d’obtention ne sont pas vraiment au point ! Et comment ne pas s’inquiéter du discours de l’ embryologiste-chef de ViaGen, Irina Polejaeva, qui ambitionne de commercialiser de la viande de bœuf obtenue par clonage de chair d’animaux morts. « Il est difficile d’évaluer sur l’animal vivant la qualité de la viande », précise la chercheuse. Alors, pourquoi ne pas cloner les animaux dont on a pu apprécier, après la mort, la qualité de la viande ?. « Il suffit juste, explique–t-elle, de prélever les cellules dans les 48 heures. » Une technique de résurrection éprouvée, puisque, depuis 2005, son laboratoire a cloné une douzaine de vaches à partir de tripes bovines, une procédure qui permet de goûter à la viande… puis de faire revenir à la vie quelques producteurs garantis !
Quelles conséquences pour la santé des consommateurs?
Les opposants au clonage dans l’élevage avancent que la technique diminue la diversité génétique naturelle des troupeaux : ainsi ceux-ci deviennent plus vulnérables aux maladies, puisqu’ils sont appelés à réagir tous de la même manière à un éventuel virus. Cette perte de diversité génétique se répercuterait aussi dans nos assiettes : l’ONG « Les amis de la Terre » aux USA s’interroge sur les conséquences qu’il y aurait à ingurgiter toujours la même viande, constituée des mêmes gènes.
Une autre question philosophique cette fois se pose : quel besoin de « pureté » se cache derrière ce débat soi-disant scientifique et de quelle folie procède cette volonté de contrôler génétiquement la viande et d’aller contre nature ? L’épizootie, qui n’est pas si lointaine que cela de la vache folle devrait inciter à réfléchir. Parce qu’on a jugé bon de transformer de paisibles herbivores bovins en carnivores en les nourrissant de farines animales, il s’en est suivie une succession de maladies de Creuztfeld-Jakob chez les animaux et les humains !
Heureusement, les débats restent vifs, et malgré l’avis favorable de la FDA, un moratoire sur la viande clonée existe qui n’a pas été levé. Les associations de consommateurs étasuniennes appellent, elles, au boycott pur et simple des éventuels distributeurs de ce genre de produits !
Mais au fait, combien sont-ils , ces clowns dont on nous prédit l’arrivée dans l’assiette? Comme il n’existe pas de registre mondial, il est difficile d’estimer précisément combien de clones sont aujourd’hui vivants sur la planète. Selon l’EFSA, en 2007, pas plus de 4 000 vaches et 1 500 cochons sont répartis dans le monde : aux Etats-Unis, dans l’Union Européenne, en Australie, en Nouvelle Zélande, en Chine, au Japon et en Argentine ! Pour un total de plus de 100 millions de têtes de bétail : pas vraiment de quoi en faire un plat ! Surtout vu le prix ! à 15 000 dollars la vache clonée (contre 2000 pour une vache normale) cela ferait cher le steak !
En fait, le premier objectif du clonage est la reproduction d’animaux. Même si on manque assurément là encore de recul pour savoir si les descendances sont tout à fait « normales » et conformes aux espoirs suscités. Il sera bien temps d’en faire des grillades dans une dizaine d’années, quand ils auront vécu leur vie de clone.
D’ici là, ils seront peut-être même devenus inutiles à abattre. Avec le développement des biotechnologies, on pourrait bien un jour parvenir à fabriquer de la viande en laboratoire. « Ce temps est probablement assez proche », affirme le biologiste britannique Brian Ford, auteur du film The Future for Food. On pourrait ainsi se passer de l’élevage et des abattoirs. On pourrait goûter de la viande de n’importe quel animal vivant …voire même de la viande humaine ! Et en toute bonne conscience, quant au respect des animaux et de la planète, puisqu’il ne faudrait que quelques cellules souches de peau pour obtenir du muscle dans lequel tailler quelques steaks. Certes, la « barbaque » obtenue ne serait pas franchement saignante puisqu’il ne s’agirait pas de tissu musculaire vascularisé. Mais avec une sauce au goût d’hémoglobine – qu’il reste à inventer – même les carnivores n’y verraient que du feu !