Algues vertes : une valorisation industrielle difficile

 

La problématique des pollutions algales a été relancée cet été. Les algues vertes , conséquences du trop grand apport de nitrates d’origine agricole (engrais et lisiers des élevages intensifs), font concurrence aux vacanciers sur les plages après les « marées vertes ». Si elles polluent visuellement et olfactivement les paysages, elles relèvent aussi de la santé publique. Il vient en effet d’être officiellement établi [1] que leur décomposition sur les plages génère des produits toxiques (notamment du sulfure d’hydrogène). Seule solution pour l’instant : les ramasser…et s’en débarrasser !

Retour à l’envoyeur ?

Actuellement, les communes concernées délèguent le ramassage à des entreprises spécialisées qui les apportent ensuite la plupart du temps directement dans les champs des agriculteurs. Cet épandage qui concerne environ 80% des algues ramassées semble satisfaire tout le monde : les agriculteurs qui disposent ainsi d’éléments nutritifs gratuits pour leurs cultures ainsi que les communes et les entreprises pour lesquelles ne se posent pas de problèmes de stockage. Même si l’épandage impose la rotation des parcelles en raison de la salinité des algues et est limité par une directive nitrate (bien difficile à respecter). Les 20% d’algues ramassées restant sont compostés dans des centres spécialisés. Des protocoles particuliers de traitement y ont été mis au point pour tenir compte des problèmes de toxicité[2].Le compost réalisé est ensuite vendu aux agriculteurs légumiers, voire même bradé pour le grand public.Le CEVA (Centre d’Etudes et de Valorisation des Algues) œuvre depuis 1982 pour faire émerger des projets industriels autour de cette matière première gratuite que constituent les algues vertes. Le projet plus abouti, co-breveté par le CEVA et l’Université de Rennes, est un godet biodégradable horticole de tourbe mélangée avec 70% d’algues. Une entreprise pilote assure le ramassage et le transport vers le site de fabrication des godets, qui n’est pas en Bretagne. Mais si on considère que la seule solution réelle au problème des algues est l’élimination pure et simple des nitrates à leur source, comment ne pas voir l’épandage, le compostage ou la mise en godets horticoles autrement que comme un serpent qui se mord la queue ? Toutes ces applications augmentent en effet les apports en matières organiques, qui atteignent déjà des taux records en Bretagne.

Trouver de nouveaux débouchés

D’autres utilisations sont envisageables. Certaines sont connues des décennies, comme la co-méthanisation, qui consiste à mettre les algues en ensilage, avec d’autres apports, afin que du méthane soit émis lors de leur décomposition. En Bavière, des méthaniseurs de déjectionspeuvent déjà être acquis par les agriculteurs, avec des aides de la commission européenne. En France, certains industriels comme Ledjo énergie en ont également mis au point. Néanmoins, « Tout le monde n’a pas forcément envie d’avoir une usine à gaz dans son jardin ! » rappelle Jean-François Sassi, Directeur de Recherche au CEVA. D’autres utilisations semblent assez simples à mettre en œuvre, comme la fabrication de pâte à papier, à l’exemple de Venise en Italie qui a ainsi trouvé le moyen d’éliminer les algues qui envahissaient sa lagune avec là encore le soutien des fonds de la commission européenne. Mais le CEVA explique qu’en France ce développement reste très limité par…manque d’algues (la papèterie requiert des volumes astronomiques) , justifiant ainsi que les papetiers bretons ne s’y soient pas du tout intéressé …Autre piste, celle des extraits d’algues, qui pourraient être utilisés comme nouveaux ingrédients dans les cosmétiques (agent de texture) ou servir de compléments alimentaires riches en protéines. Dans l’alimentation animale, elles servent déjà à fournir des protéines d’origine marine pour la pisciculture.Pour les autres filières, le CEVA explique que les développements en cosmétique et alimentation humaine restent pour l’instant bloquéspar les nouvelles réglementations en vigueur : Reach qui impose l’homologation des substances chimiques et Novel Food qui si elles ne s’appliquent bien évidemment pas aux algues vertes elles-mêmes,concerneraient les extraits qui pourraient en être tirés. Des coûts d’homologation qui ne pourront bien entendu être supportés par les industriels que s’ils arrivent à se convaincre qu’ils sont sur un marché porteur…

Paru dans Environnement Magazine Hebdo, août 2009


[1]INERIS « Résultats de mesures ponctuelles des émissions d’hydrogène sulfuré et autres composés gazeux potentiellement toxiques issues de la fermentation d’algues vertes (ulves) » août 2009 , téléchargeable sur le site de l’ineris www.ineris.fr

[2]CEVA, Air Breizh, Cemagref, SMITOM Launay-Lantic, Terreau d’Iroise « Etude de gaz émis lors du compostage d’algues vertes ». 2009, téléchargeable sur le site : http://www.airbreizh.asso.fr

 

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