De la viande aux antibiotiques, et alors?


Les animaux d’élevage sont comme les hommes : parfois ils sont malades, et prennent des antibiotiques. Ils en prennent même aussi parfois, lorsqu’ils ne le sont pas. Dans tous les cas, leur viande est pleine de bactéries ! Que risquons-nous à la manger?

On le sait depuis longtemps, de nombreuses bactéries sont naturellement présentes dans le tube digestif de tous les animaux (chez l’homme, selon les estimations, leur nombre s’y élèverait à plusieurs milliers de milliards, soit dix fois plus que le nombre de cellules de l’organisme!).
Les animaux d’élevage n’échappent pas à cette règle et leurs bactéries contaminent l’environnement : d’une part, elles sont relarguées au travers des déjections animales, contaminant l’eau qui va arroser les cultures agricoles, ou alimenter les réseaux d’eau potable. D’autre part, lorsque les animaux sont abattus ou dépecés, ces bactéries contaminent inéluctablement la viande.
Bien sûr la qualité de la viande est très contrôlée. Il n’empêche que début mars de près de 2,5 tonnes de viande potentiellement contaminée par une souche d’ Escherichia Coli entérohémorragiques (EHEC) ont été mis en vente ! Juste le temps de confirmer les résultats des contrôles (quotidiens) qui avaient détecté la présence de la bactérie à l’abattoir de Coutances dans la Manche… Mais dix jours plus tard tout de même !
Tout cela n’est pas bien grave, direz-vous. Après tout, il suffit de bien faire cuire la viande, à 65-70°C. Comme on le rappelle au centre d’information des viandes, « Le problème de telles bactéries, c’est qu’elles ne se cantonnent pas qu’à la surface de la viande, mais se propagent dans tout le reste du réfrigérateur, voire ailleurs ! ». E.coli déclenche des gastro-entérites, avec des diarrhées pendant quelques jours. Chez les enfants de moins de 5 ans, les personnes âgées de plus de 65 ans et toutes les personnes immunitairement déficientes, elle peut être responsable de graves atteintes rénales, parfois mortelles.
Mais ne vient-on pas à bout des bactéries avec les antibiotiques? Justement, à l’heure actuelle, il n’existe aucun traitement pour lutter contre les infections à EHEC et les antibiotiques sont même fortement déconseillés car ils sont supposés activer la production d’une toxine dans le côlon aggravant la maladie. Cet exemple illustre la façon dont la viande est contaminée par des bactéries de plus en plus résistantes aux antibiotiques : certaines , comme les EHEC, sont pathogènes , d’autres non, mais ce dernier point n’est pas pour autant rassurant !


Les bactéries font de la résistance !

N’en déplaise à ceux qui croyaient que les bactéries étaient dotées d’une certaine intelligence, les bactéries n’apprennent rien. En revanche, elles évoluent inéluctablement vers une résistance aux antibiotiques. Car les bactéries se reproduisent très vite (tout simplement, elles se divisent en deux toutes les 30 minutes environ) et mutent spontanément. C’est à dire que leur patrimoine génétique peut se modifier et elles peuvent ainsi spontanément acquérir des gènes de résistance qui vont leur donner la propriété de résister aux antibiotiques qui habituellement les tuent ou freinent leur développement. Un mécanisme naturel que ne vient pas arranger la présence de grandes quantités d’antibiotiques dans l’environnement, car même « s’il n’induit pas la résistance, il donne un avantage certain aux bacteries qui lui sont devenu spontanément résistantes ! » précise le Pr Patrice Courvalin, Responsable de l’unité des Agents bactériens à l’Institut Pasteur et du Centre National de Référence des Antibiotiques. Les antibiotiques exercent ainsi une « pression de sélection ». Déjà en 1945, Fleming, le « découvreur » de la pénicilline, prévenait la communauté médicale et le grand public des dangers liés à l’utilisation à grande échelle des antibiotiques : « Cela aboutirait à ce qu’au lieu d’éliminer l’infection, on apprenne aux microbes à résister à la pénicilline et à ce que les microbes résistants soient transmis d’un individu à un autre jusqu’à ce qu’ils en atteignent un chez qui ils provoquent une pneumonie ou une septicémie que la pénicilline ne pourra pas guérir ».

Des antibiotiques dans l’élevage animal

Revenons à nos moutons- enfin, bœufs, veaux et cochons aussi ! L’élevage intensif est particulièrement propice au développement d’infections, compte-tenu des fortes densités de population d’animaux. Pour les éviter ou pour les soigner, les antibiotiques sont couramment utilisés. Aujourd’hui, les animaux d’exploitation consomment ainsi plus de 30% de la totalité des antibiotiques produits en Europe (1261 tonnes, rien qu’en France, en 2003).
« Cela a été démontré de façon répétée : si vous prescrivez des antibiotiques chez l’animal, vous allez sélectionner les souches résistantes dans son tube digestif notamment. Au cours de l’abattage , la viande est inévitablement contaminée par le tube digestif et si vous ingérez cette viande pas trop cuite, vous allez donc acquérir des bactéries résistantes ! explique le Pr. Courvalin. « Ce n’est pas pour autant que vous serez malade, poursuit-il, mais quand ces bactéries passeront dans le tube digestif, elles vont avoir le temps de transférer leurs gènes de résistance aux bactéries commensales qui résident normalement dans votre tube digestif! » Un problème d’autant plus sérieux que les antibiotiques utilisés en médecine vétérinaire sont souvent assez proches des antibiotiques utilisés en médecine humaine. Ainsi, en mangeant de la viande contaminée par des bactéries résistantes à un antibiotique utilisé en médecine vétérinaire, on peut facilement y « gagner » des bactéries résistantes aux antibiotiques utilisés chez l’homme ! Un mécanisme qui contribue probablement à accroître le nombre de souches résistantes aux antibiotiques.
Ne parlons même pas des éventuels résidus d’antibiotiques qui se trouveraient sur la viande, ils sont censés s’y trouver en quantité infinitésimale, des délais devant être théoriquement respectés entre la date de prise d’antibiotiques et l’abattage !

Des antibiotiques encore utilisés comme additifs alimentaires!

Les antibiotiques ont aussi longtemps été utilisé à faibles doses dans l’alimentation animale comme additifs, parce qu’on leur attribue un rôle de promoteurs de croissance . Pourquoi ? « Cela n’a jamais été vérifié, mais ils modifieraient la flore intestinale des animaux, entraînant une prise de poids plus rapides, d’où un profit pour les éleveurs, explique le Pr Courvalin. Une pratique absurde dès lors qu’il est prouvé que l’administration de faibles doses d’antibiotiques sur des périodes prolongées est la meilleure façon de sélectionner des bactéries résistantes ! « Aujourd’hui interdite en Europe, (au nom du principe de précaution, NDLR) cette pratique continue d’être autorisée aux USA et en Asie. Vu la mondialisation des échanges, les risques ne sont pas exclus pour les européens de se retrouver avec des produits contaminés par des bactéries résistantes aux antibiotiques donnés à ces animaux ! »
À l’heure où l’on s’efforce dans la lutte contre les résistances bactériennes à maîtriser les prescriptions d’antibiotiques en médecine humaine, comme en témoignent les dispositifs mis en place par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (campagne « les antibiotiques , c’est pas automatique »), on ne peut que s’étonner et déplorer avec le Pr. Courvalin que « La santé publique ne passe hélas pas avant les échanges commerciaux ! »

Pour éviter la maladie du hamburger
Outre la viande contaminée, E.Coli peut se trouver sur les fruits et légumes courants, ou…les mains ! Comment s’en protéger ?
-Lavez les légumes, les fruits, les herbes… d’autant plus qu’ils doivent être consommés crus
-Séparez les aliments crus des aliments cuits ou prêts à être consommés pour éviter les contaminations croisées. Isolez la viande crue.
-Revenez à une hygiene élémentaire de base (bien se laver les mains)
Une interview du Pr Patrick Courvalin :[audio:resistanceauxantibiotiques.mp3]

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