paru le 21/11 /2022 dans Chemical & Engineering News
La contraception est une question qui touche les personnes de tous les genres. Bien que la plupart des personnes susceptibles de tomber enceintes soient des femmes cisgenres, de nombreux hommes transgenres et des personnes non binaires et intersexes le peuvent également. De même, la « contraception masculine » profiterait non seulement aux hommes cisgenres, mais aussi à de nombreuses femmes transgenres et personnes non binaires et intersexuées. Historiquement, la diversité des genres n’a pas été prise en compte dans le développement ou la recherche sur la contraception, l’ article qui va suivre est limité par cette tendance.
Alex Springer, 28 ans, travaille dans une entreprise de biotechnologie dans la région de Seattle. Chaque matin, il se réveille, prend une douche et met du déodorant. Ensuite, il verse un peu de gel dans ses mains et le frotte sur ses deux épaules. Le gel sèche en 30 secondes environ, après quoi il s’habille et commence sa journée. Et c’est ainsi que Springer et son partenaire sont protégés de la grossesse. « Cela fait partie de la routine », explique-t-il. M. Springer et sa compagne, Mel Hopkins, ont l’intention d’avoir des enfants un jour, mais pas maintenant. Mel Hopkins souffre de diabète de type 1 et les méthodes de contraception hormonale interfèrent avec sa capacité à gérer sa glycémie. Ils voulaient une option contraceptive pour Alex – et pour l’instant, ils en ont une. Springer et Hopkins font partie des milliers de couples du monde entier qui participent à un essai de phase 2 sur le gel NES/T, un contraceptif local qui combine nestorone – un progestatif synthétique – et testostérone. Ensembles, ces hormones suppriment la production de spermatozoïdes. L’efficacité a été beaucoup plus élevée que prévu, déclare Stephanie Page, investigatrice principale du site de Seattle de l’étude NES/T et professeur à la faculté de médecine de l’université de Washington. Selon elle, le gel pourrait avoir un taux d’échec plus faible que celui des pilules contraceptives classiques. Mais ce n’est pas un scoop : les contraceptifs hormonaux qui ciblent les spermatozoïdes ont déjà fait l’objet d’essais de phase 2 auparavant. Or, en dépit de décennies de recherche, aucune méthode n’est parvenue jusqu’au stade de la commercialisation. Car jusqu’alors, les principaux obstacles limitant les essais sont l’existence d’ effets secondaires importants et une efficacité qui laisse à désirer.
L’essai NES/T est diffèrent : le contraceptif n’est pas injecté, et il est auto-administré. Et l’essai prévoit également de suivre attentivement la santé mentale des participants. Jusqu’à présent, les effets secondaires ont été minimes. Que le gel NES/T réussisse à être commercialisé ou non, il devient très clair que les gens veulent des options de contraception bloquant les spermatozoïdes autres que les préservatifs et les vasectomies. La récente décision de la Cour suprême des États-Unis sur le droit à l’avortement, qui n’est pas garanti par la Constitution américaine a ravivé cette demande.« À la lumière de l’évolution du paysage législatif et de l’accès à l’avortement et à d’autres méthodes contraceptives féminines…. Je pense qu’il incombe aux hommes de commencer à assumer un peu plus de responsabilités en matière de planification familiale et d’utilisation des contraceptifs », déclare M. Springer.
Le NES/T est pour l’instant le contraceptif masculin le plus avancé et il pourrait entrer dans les essais de phase 3 d’ici un à deux ans. C’est cependant un médicament à base d’hormones, quand la plupart des hommes préféreraient des options non hormonales. En agissant sur une cible spécifique du cycle du sperme, les méthodes non hormonales pourraient éviter les effets secondaires souvent associés aux médicaments hormonaux. Elles pourraient également être plus efficaces. – En effet, dans la plupart des études, chez 10 à 15 % des utilisateurs, les hormones ne suppriment pas suffisamment la production de spermatozoïdes pour garantir des niveaux contraceptifs suffisants. Ceci pourrait être dû à des différences génétiques ou environnementales ou à une non-compliance au traitement, selon le Dr Page.
Néanmoins, aucun des contraceptifs non hormonaux susceptibles d’agir sur les spermatozoïdes n’a encore été testé chez l’homme. Mais on se rapproche de plus en plus des essais cliniques, qui pourraient commencer dès l’année prochaine.
Désir d’options
Quand la « pilule », médicament hormonal de contrôle des naissances destiné aux femmes, a été approuvée aux États-Unis en 1960, le sujet de la contraception était tabou. Le contrôle des naissances était illégal dans au moins un État. Peu après l’introduction de la pilule, la loi fédérale a été modifiée afin d’accroître de manière significative la surveillance des approbations de médicaments par la Food and Drug Administration américaine. Certaines recherches sur le contrôle des naissances ciblant les spermatozoïdes avaient été effectuées au cours des années précédentes, et elles ont repris peu de temps après l’approbation de la pilule. Les tentatives ont toujours échoué, mais avec le temps, la demande semble s’être renforcée. « Nous savons que les hommes qui se font vasectomiser ont parfois des regrets de l’avoir fait. Nous savons que si les hommes n’aiment pas les préservatifs, les partenaires féminines ne les aiment pas non plus », explique Brian T. Nguyen, professeur adjoint d’obstétrique et de gynécologie clinique à l’université de Californie du Sud. M. Nguyen a également fondé le laboratoire EMERGE (Expanding Male Engagement in Reproductive and Gender Equity). « Donc, on peut dire que d’un côté comme de l’autre, hommes et femmes attendent avec impatience la contraception masculine ». Une étude réalisée en 2000 dans quatre villes de trois pays a montré que 44 à 83 % des hommes utiliseraient certainement ou probablement une pilule contraceptive hormonale. (Hum. Reprod., DOI: 10.1093/humrep/15.3.637). La même année, une enquête internationale menée auprès de près de 2 000 femmes révélait que seules 2 % d’entre elles ne feraient pas confiance à un partenaire masculin pour utiliser une contraception hormonale. (Hum. Reprod., DOI: 10.1093/humrep/15.3.646). Selon Steve Kretschmer, l’un des fondateurs du groupe de consultants Outsight 4 Development, qui mène l’étude, une étude en cours portant sur plus de 13 000 hommes de six pays a révélé que 39 % des hommes aux États-Unis et jusqu’à 76 % des hommes au Nigeria et au Bangladesh seraient prêts à utiliser une nouvelle technologie de contraception masculine au cours de l’année à venir. L’étude est financée par la Fondation Bill et Melinda Gates et la Male Contraceptive Initiative, une organisation de défense et de financement des contraceptifs réversibles non hormonaux qui peuvent être commercialisés auprès des hommes.
Le contrôle des naissances au-delà des hormones
La contraception hormonale comme le gel NES/T agit en empêchant la création de spermatozoïdes. La testostérone contenue dans le médicament, seule ou en combinaison avec d’autres hormones comme le progestatif, supprime les autres hormones qui stimulent la production de sperme. Mais les hormones agissent dans tout le corps. Pour certaines personnes, cela peut rendre les méthodes hormonales difficiles, voire impossibles à tolérer. « Lorsque vous donnez une hormone exogène à quelqu’un, vous changez l’expression ou influencez l’expression de centaines et potentiellement de milliers de gènes », explique Daniel S. Johnston, chef de la branche de recherche sur la contraception à l’Institut national Eunice Kennedy Shriver de la santé infantile et du développement humain (NICHD), qui fait partie des Instituts nationaux américains de la santé. « S’il y a 20 000 gènes, et je fais une estimation approximative, vous modifiez potentiellement l’expression de 5 % d’entre eux. » L’un des obstacles au développement d’une contraception hormonale bloquant les spermatozoïdes réside dans ses effets secondaires. En 2016, un vaste essai de phase 2 d’une injection hormonale, financé par d’importants bailleurs de fonds, dont les Nations unies et l’Organisation mondiale de la santé, a été interrompu prématurément. (J. Clin. Endocrinol. Metab. 2016, DOI: 10.1210/jc.2016-2141). Les auteurs de l’étude notent dans leur publication que » la fréquence des troubles de l’humeur légers à modérés était relativement élevée. «
Certaines femmes prenant la pilule ou utilisant d’autres contraceptifs hormonaux ont eu les mêmes effets secondaires que certains hommes dans les études. Mais les normes réglementaires ont changé depuis 1960, date à laquelle la pilule a été approuvée. Et compte tenu des risques pour la santé qui accompagnent la grossesse, les organismes de réglementation peuvent considérer que davantage d’effets secondaires potentiels sont acceptables pour une personne qui peut tomber enceinte que pour une personne qui ne le peut pas. « Il est absolument vrai que les effets secondaires sont similaires. Et de la même manière, tout le monde n’a pas d’effets secondaires avec les méthodes hormonales, tant pour les femmes que pour les hommes – beaucoup de gens les prennent sans aucun problème », dit M. Page. « Je pense donc qu’il y a deux poids, deux mesures en ce qui concerne ce que recherchent les organismes de réglementation. »
Un autre problème des méthodes hormonales est qu’elles ne sont pas suffisamment efficaces pour bloquer la production de sperme chez certaines personnes. Et il y a beaucoup de spermatozoïdes à supprimer : 1 000 spermatozoïdes sont produits à chaque battement de cœur, explique Gunda Georg, chimiste médicale à l’université du Minnesota Twin Cities. Comparé à un seul ovule libéré par mois, c’est un sacré problème!
Et si les données indiquent que les hommes sont largement disposés et intéressés à prendre une contraception, les méthodes hormonales rendent certains hommes méfiants.
« Ce que j’ai appris au cours de quelques conversations avec des hommes, c’est qu’ils sont vraiment très, très, très sensibles , ils disent « Ooh, est-ce que cela affecte mes niveaux de testostérone ? » », dit Nadja Mannowetz, cofondatrice et directrice scientifique de YourChoice Therapeutics, qui développe un contraceptif ciblant le sperme. » C’est vraiment la première question – pas nécessairement ‘Est-ce que c’est efficace’ ou quelque chose comme ça. La question est plutôt : « Oh, est-ce que je serai toujours un homme ? ». »
Les chercheurs voient une opportunité de créer un contrôle des naissances qui utilise des méthodes non hormonales pour cibler les molécules impliquées dans la production ou la fonction des spermatozoïdes. Certains candidats ciblent les protéines qui jouent un rôle clé dans la production des spermatozoïdes. D’autres ciblent des protéines qui sont importantes plus tard dans le parcours du sperme, comme celles qui permettent aux spermatozoïdes de nager correctement. Le principal candidat de YourChoice cible une protéine appelée récepteur de l’acide rétinoïque (RAR-α), qui intervient dans la production des spermatozoïdes. RAR-α fait partie de la voie de la vitamine A. Certaines cellules de l’organisme convertissent la vitamine A (également connue sous le nom de rétinol) provenant de l’alimentation en acide rétinoïque, qui intervient dans la croissance et la différenciation des cellules, entre autres. Normalement, l’acide rétinoïque se lie à RAR-α, ce qui entraîne l’expression de certains gènes liés à la production de sperme. Le médicament de YourChoice, YCT-529, se lie au RAR-α, ce qui empêche l’acide rétinoïque de le faire. En conséquence, certains gènes nécessaires à la production de spermatozoïdes ne s’expriment pas.
Jean-Ju Chung, biologiste cellulaire à la Yale School of Medicine, qui travaille sur les canaux ioniques des spermatozoïdes, adopte une autre approche en se concentrant sur une cible qui affecte la façon dont les spermatozoïdes nagent. Pour que les spermatozoïdes puissent accomplir le long voyage jusqu’à l’ovule, ils doivent déplacer leurs flagelles – leurs queues – avec vigueur et de manière asymétrique. Les spermatozoïdes acquièrent cette qualité, appelée motilité hyperactivée, après l’éjaculation, alors qu’ils progressent vers l’ovule. « Si les spermatozoïdes sont capables de nager uniquement en ligne droite, ils vont s’arrêter », explique Chung.
Chung cible une protéine appelée CatSper, un canal ionique calcique situé dans le flagelle du spermatozoïde et qui joue un rôle clé dans cette motilité hyperactivée. Chez les modèles animaux, comme les souris, l’élimination du gène qui code CatSper empêche les spermatozoïdes d’atteindre une motilité hyperactivée, de sorte qu’ils ne nagent que de manière symétrique, explique Chung. Même si les spermatozoïdes parvenaient à atteindre un ovule avec leur nage défectueuse, CatSper est également important pour d’autres processus essentiels à la conception, comme la réaction qui permet aux spermatozoïdes de pénétrer dans l’enveloppe de l’ovule. Sans CatSper, cette étape est bloquée.
Eppin Pharma travaille également sur un médicament qui interfère avec la fonction des spermatozoïdes. La petite molécule, EP055, se lie à l’EPPIN (inhibiteur de protéase épididymaire), une protéine présente à la surface des spermatozoïdes. En se liant, elle empêche les étapes qui rendent les spermatozoïdes fonctionnels, comme l’augmentation du pH, l’afflux d’ions calcium dans le spermatozoïde et l’hyperactivation de la motilité des spermatozoïdes.
Le fait de cibler la motilité des spermatozoïdes a un avantage potentiel : de tels médicaments agiraient plus rapidement que ceux qui bloquent la production de sperme à la base et qui mettent plusieurs semaines à agir pour atteindre le résultat contraceptif escompté.
Jochen Buck et Lonny Levin, de l’université Cornell, travaillent sur un contraceptif qui pourrait être pris à la demande et stopper la fertilité presque immédiatement. Leur composé ciblerait une enzyme appelée adénylyl cyclase soluble (sAC), qui catalyse la création de l’adénosine monophosphate cyclique (AMPc), une molécule messagère nécessaire à la motilité des spermatozoïdes. Leur médicament candidat est destiné à inhiber la sAC, empêchant ainsi la production d’AMPc et stopper net la nage des spermatozoïdes.
Ils envisagent que les hommes prennent le composé selon leurs besoins, comme le Viagra, médicament contre les troubles de l’érection. Il pourrait être pris environ 30 minutes avant un rapport sexuel, et son effet pourrait durer quelques heures, une journée, voire un week-end. Mais les utilisateurs n’auraient pas besoin de le prendre tous les jours. Il n’y aurait pas de risques d’effets chroniques à long terme. De plus, cette catégorie de médicament n’interfére pas avec la production de sperme, de sorte que le nombre de spermatozoïdes reste normal ; seule la fonction est altérée.
« Bien sûr, si l’on peut contrôler à la fois le nombre et la motilité des spermatozoïdes, ce sera probablement plus complet », dit Mme Chung. Mais elle ajoute que si elle devait choisir entre les deux options, elle opterait pour la seconde (contrôler leur motilité) plutôt que pour le première (réduire leur nombre) : même un faible nombre de spermatozoïdes peut entraîner une grossesse, or un médicament visant à bloquer totalement leur production met nécessairement plus de temps à agir.
Un parcours semé d’embûches
Il semble, d’après les données précliniques, qu’il existe des candidats médicaments efficaces qui ciblent certaines parties du cycle du sperme. Mais jusqu’à présent, chacun a ses avantages et ses inconvénients. « Si le problème des contraceptifs hormonaux est qu’ils ne fonctionnent pas chez tout le monde, le problème des contraceptifs non hormonaux reste leur toxicité », déclare John Amory, interniste et chercheur en contraception à l’université de Washington. Il travaille également sur un médicament non hormonal impliqué dans la voie de la vitamine A. « Beaucoup de choses qui vont tuer les gens sont en train de se produire. « Ce qui tue les spermatozoïdes est aussi susceptible de nuire à d’autres choses », dit-il. Les cibles contraceptives multiples que les chercheurs étudient, comme sAC et RAR-α, se trouvent à plusieurs endroits dans l’organisme. Si un médicament cible une protéine dans les testicules qui existe aussi, par exemple, dans le cerveau, des effets secondaires néfastes sont possibles. CatSper, la cible visée par le laboratoire de Chung, semble être complètement spécifique au sperme. Ce qui le freine, c’est qu’il ne peut pas encore être exprimé seul dans un système modèle – comme une lignée de cellules humaines cultivées – qui permettrait de tester des médicaments conçus pour le bloquer avant les études humaines. Johnston, du NICHD, émet quelques réserves quant au ciblage de RAR-α. RAR-α est exprimé dans d’autres parties du corps que les testicules, et il est possible qu’un médicament ciblant cette protéine l’affecte à plusieurs endroits. Certains articles publiés ont suggéré que le ciblage de RAR-α pourrait provoquer des changements indésirables dans le système immunitaire et peut-être dans d’autres parties du corps, comme le cœur et les yeux, explique Johnston.
Georg, qui a mis au point le YCT-529, note que dans les études animales, les niveaux du composé en dehors des testicules sont faibles, ce qui suggère qu’il reste dans la cible.
Johnston dit qu’il espère que le médicament candidat de YourChoice fonctionne – et plus largement que tous les candidats contraceptifs testiculaires fonctionnent. « Mais il y a des articles qui suscitent quelques inquiétudes sur RAR-α », dit Johnston. « Il y a très peu de produits pour lesquels je n’ai aucune inquiétude ». Il n’y aura pas de candidat parfait, dit-il.
Si certains effets secondaires peuvent être mesurés chez les animaux, il en est un qu’il est difficile de prévoir tant qu’un médicament n’est pas testé chez l’homme : l’action sur la santé mentale. Les changements d’humeur sont un effet secondaire notable des contraceptifs hormonaux actuellement commercialisés pour les femmes. Les chercheurs espèrent que les médicaments ciblant des protéines spécifiques du sperme éviteront les effets sur l’humeur, car ils n’ont pas une action aussi large que les hormones.
Obstacles à l’approbation
Le paysage est truffé de questions qui ne trouveront pas de réponse avant les essais cliniques. Mais même avec des réponses, les contraceptifs qui peuvent être commercialisés pour les hommes sont confrontés à un chemin plus difficile vers l’approbation que de nombreux autres types de médicaments. « Être fertile n’est pas une maladie », dit M. Georg.
Il existe une analyse risques-avantages pour chaque médicament. Dans le cas de maladies comme le cancer, la maladie d’Alzheimer ou le diabète – dont les effets sur la santé de la personne traitée sont clairs -, un médicament a juste besoin d’atténuer les symptômes pour pouvoir justifier le risque d’effets secondaires. Pour le contrôle des naissances, le calcul est différent. « S’il s’agit d’un médicament de chimiothérapie, 80 %, c’est génial, non ? dit Logan Nickels, directeur de recherche à la Male Contraceptive Initiative. « S’il s’agit d’un contraceptif, 80%, c’est moins que le préservatif. C’est à proscrire. »
Ce calcul est également différent pour les personnes qui peuvent tomber enceintes. La fertilité n’est peut-être pas une maladie, mais la grossesse est toujours potentiellement une menace pour la vie. En 2017, près de 300 000 personnes sont mortes de causes liées à la grossesse et à l’accouchement, selon l’Organisation mondiale de la santé ( World Health Organization). Par ailleurs, « La pilule contraceptive que les femmes prennent tue en fait un petit nombre de femmes », dit Amory. « Et cela a toujours été justifié parce que le risque de grossesse non désirée est en fait plus élevé que le risque du contraceptif ».
Convaincre les entreprises pharmaceutiques qu’il y a, en plus du risque, un bénéfice substantiel à faire avancer les candidats médicaments ciblant les spermatozoïdes est un obstacle. Mais il faut savoir que les grossesses non désirées peuvent avoir des conséquences négatives pour les deux partenaires. Selon M. Nguyen, les jeunes hommes dont la partenaire met fin à une grossesse non désirée par un avortement ont plus de chances de terminer leurs études que ceux dont la partenaire continue de porter la grossesse. « Une partie du problème réside dans le fait que les décideurs politiques et les entreprises pharmaceutiques ne reconnaissent pas que les hommes ressentent un impact sur eux lorsque leur partenaire tombe enceinte, en particulier lorsque leur partenaire tombe enceinte alors qu’ils ne le souhaitent pas. »
Selon une école de pensée, soutenue par de nombreux acteurs du secteur, les organismes de réglementation devraient tenir compte de la santé du couple en plus de celle de l’individu. L’analyse risques-avantages devrait tenir compte des deux parties impliquées dans la grossesse. En outre, M. Page, de l’essai NES/T, soutient qu’il existe déjà un précédent pour un individu risquant sa santé pour améliorer celle d’un autre. « Il existe le concept de don d’organe vivant, dans lequel la personne qui donne un organe prend certainement un risque pour sa santé au profit d’une autre personne », explique-t-elle. « Il y a des situations où nous trouvons cela acceptable ».
En plus du risque potentiel pour les consommateurs de médicaments, les entreprises pharmaceutiques sont également confrontées à des risques. Les contraceptifs sont souvent la cible de litiges. Un exemple bien connu est celui des pilules contraceptives Yaz et Yasmin, qui bloquent l’ovulation et pour lesquelles Bayer a dû faire face à plus de 18 000 poursuites pour des effets secondaires graves présumés, comme des caillots sanguins et des crises cardiaques. Les implants, dont le NuvaRing, le dispositif intra-utérin Mirena et Essure, ont également fait l’objet de poursuites.
« Les sociétés pharmaceutiques sont de plus en plus réticentes à prendre des risques », explique M. Nickels, de l’Initiative pour la contraception masculine, qui note qu’elles comptent sur les jeunes entreprises pour prendre les premiers risques et acheter les médicaments candidats une fois qu’ils sont prometteurs. « Et je pense que c’est une mauvaise chose pour la contraception masculine, un domaine qui, historiquement, a eu beaucoup de mal à s’adresser aux gens, et encore moins à prouver qu’il allait réussir », explique M. Nickels. Mais, ajoute-t-il, il y a aussi de l’argent à gagner. « Nous parlons de 4 milliards d’hommes. Les hommes ne sont pas un ensemble monolithique. Si vous pouvez capter 1 %, 10 % ou 8 % de ce marché, cela représente beaucoup de monde », explique M. Nickels. « Je pense donc que les gens comprennent qu’il y a aussi un argument commercial à faire valoir. Et cette fenêtre pour savoir combien cette opportunité vaut, en termes de risque, se rapproche de plus en plus. Et nous arrivons à un point d’inflexion. »
Une marée montante ?
Dans un article de 2012 de C&EN, Amory a déclaré qu’un délai de 10 ans semblait à peu près correct pour qu’un contraceptif masculin soit approuvé (C&EN, 24 septembre 2012, page 35). Il a également raconté une blague courante dans le domaine – que les gens disent qu’un tel médicament sortira d’ici 5 à 10 ans… depuis des décennies. Et il a répété cette blague à nouveau cette année. Plus optimiste, M. Nickels avance prudemment que cette blague est peut-être en train d’atteindre la fin de sa vie. Lui ne voit pas l’échéance si lointaine. « J’ai parlé à un certain nombre de personnes qui sont ici depuis 10, 15 ou 20 ans. Et ils disent que ça y est – c’est le moment ». Reste à savoir quel type de produit arrivera le premier sur le marché.
Les approches hormonales ont ici une bonne longueur d’avance. Et elles ont un avantage en termes de familiarité. « Nous sommes très, très à l’aise avec les hormones », dit Amory. » Elles sont un diable que nous connaissons « . Dans le meilleur des cas, le gel NES/T pourrait être approuvé dans 5 ans, selon M. Page, mais 7 ou 8 ans sont plus probables, soit à l’écheance 2030. Les médicaments non-hormonaux sont assez loin derrière en terme de développement, mais ils gagnent du terrain. YourChoice est sur le point de commencer les essais sur l’homme de son principal candidat en 2023, ce qui serait la première fois que des contraceptifs non hormonaux seraient administrés aux hommes aux États-Unis. Buck et Levin pensent qu’ils pourraient obtenir l’autorisation de commencer les essais cliniques sur un médicament ciblant le sAC dans 2 ou 3 ans. Michael O’Rand, PDG d’Eppin Pharma, affirme qu’un essai clinique pour le candidat de sa société pourrait commencer l’année prochaine ou l’année suivante, en fonction du financement.
Les experts s’accordent à dire qu’il ne s’agit pas d’une course pour savoir lequel atteindra la ligne d’arrivée ; ils souhaitent qu’une vaste campagne soit menée pour faire approuver autant d’options que possible. Car ce que les gens veulent, c’est pouvoir choisir! De plus, une autre chose semble claire : l’approbation d’un médicament ne peut qu’aider les autres. « Une marée montante soulève tous les bateaux », dit M. Levin. « Donc, si les essais NES/T fonctionnent, et que cela se sait, ce serait formidable parce que cela révélerait absolument au monde qu’il y a un marché. »
Les preuves de l’existence d’un marché émergent déjà. M. Mannowetz, de YourChoice, raconte que la boîte mail de réception de la société a été inondée de demandes après que M. Georg soit intervenu au congrès de l’American Chemical Society au printemps 2022 : « Nous avons reçu tellement d’emails d’hommes qui nous demandent : « Où puis-je acheter votre produit ? »Eh bien, désolé, il est encore en cours de développement. Puis-je acheter des actions de votre société ? Désolé, nous sommes toujours une entreprise privée. Sans oublier la troisième question, ‘Quand, où et comment puis-je participer à votre essai clinique ?’. »
Mme Page a également constaté de l’enthousiasme lors du recrutement des participants à l’essai clinique NES/T. « Cette idée que les hommes ne prendront aucun risque d’effets secondaires pour la contraception n’est tout simplement pas vraie », dit-elle. Elle souligne que de nombreux utilisateurs n’auront pas d’effets secondaires. Et les hommes participants souhaitent soulager leur partenaire du fardeau de la contraception, note-t-elle.
Springer est l’une de ces personnes. Lui et sa partenaire approchent de la fin de leur participation à l’essai NES/T. Ils sont tristes de voir l’essai se terminer. « C’est devenu une partie de notre vie. Et maintenant, nous devons trouver une autre option qui nous convienne », dit-il. Mais il ne pense pas que leur situation soit unique. Les options de contrôle des naissances sont irréalisables pour de nombreuses femmes, dit-il, et même pour les couples dans lesquels les femmes n’ont aucune limite quant au contrôle des naissances qu’elles peuvent prendre, la responsabilité de la reproduction doit être partagée.
Chemical & Engineering News
ISSN 0009-2347