Représentant 25% des huiles utilisées par l’industrie agro-alimentaire, l’huile de palme est l’huile la plus consommée au monde, devant l’huile de soja (24%), de tournesol (7%) et de colza (12%). A l’instar du soja pour lequel on a abattu des hectares et des hectares de forêt amazonienne, le palmier à huile est devenu l’ennemi numéro 1 des forêts indonésiennes et africaines…et de leurs habitants. D’abord, pour planter ce palmier, il faut déforester et donc pour que cela aille très vite déboiser par brûlis, par feux de forêts : Malaisie et Indonésie sont devenues à cette occasion l’un des plus gros pays producteur de CO2 de la planète. Ensuite, pour le cultiver, il faut employer des paysans : ce qui conduit à un appauvrissement général des populations indigènes, devenues employées des multinationales qui détiennent ces palmiers à huile. S’ensuivent des conflits sociaux dramatiques, renforcés par des injustices de traitement : aujourd’hui, si un paysan indonésien s’avise à couper un seul arbre, il risque la prison. Alors que les multinationales ont pour leur part le droit d’abattre l’équivalent d’un terrain de foot toutes les 10 secondes pour installer leurs palmeraies ! Pour clore le tableau, les terres sur lesquelles ces plantations se développent sont condamnées ; on ne pourra plus y cultiver rien d’autre, comme la plupart des terres dédiées à la monoculture intensive. Tandis que les espèces qui vivent sur ces territoires, comme les orangs-outans ou les tigres par exemple, disparaissent peu à peu, menaçant gravement l’équilibre écologique de ces régions. Au point que la Banque Mondiale a annoncé fin 2009 un moratoire sur ses financements à l’huile de palme, peu après la publication du rapport d’évaluation des plantations financées …
De l’huile de palme durable ?
Pour tenter de rendre le commerce de l’huile de palme plus soutenable, le WWF a initié dès 2002 une table ronde pour la production durable d’huile de palme (Roundtable for Sustainable Palm Oil – RSPO)
réunissant les différents acteurs de la filière, et notamment les exploitants de palmeraie. Les associations paysannes comme l’association des paysans indonésiens, membre de la Via Campesina, dénoncent cependant l’hypocrisie de la certification qui en découle, l’huile de palme « durable », CSPO. En cause, les industriels qui poussent les paysans à déboiser contre des propositions d’emploi non tenues… Mais aussi les directives internationales REDD (Reducing Emissions Through Deforestation and Degradation) qui prétendent définir les critères d’une déforestation « durable », mais toujours au profit des multinationales et au détriment des petits exploitants habitués à gérer depuis toujours leurs terres ancestrales. Quant à l’impact de la démarche, il pose question : depuis 2008, le WWF évalue la politique d’achat des utilisateurs européens d’huile de palme. Et selon ce Palm Oil Buyers’ Scorecard, 81% de l’huile de palme CSPO est produite…en pure perte puisqu’elle n’est pas achetée ! Pas vraiment étonnant lorsqu’au final, 49 des 59 entreprises qui s’étaient engagées à recourir à l’huile de palme durable (CSPO) se sont défilés.
Une omniprésence dans les produits industriels
Bien sûr, le scandale de l’huile de palme est connu depuis longtemps. D’autant que l’huile de palme continue d’entrer dans la composition de nombreux produits, de façon plus ou moins explicite. Sur l’étiquette peut figurer en effet « huile de palme » ou « huile de palmite » (dans ce cas elle est extraite des graines) mais aussi de façon plus laconique « huile ou matière grasse végétale »… Comme elle résiste bien à la chaleur, cette huile est fréquemment incorporée aux plats tout préparés en conserve ou surgelés. Sa mauvaise réputation écologique, étayée par les campagnes de sensibilisation choc menées par les ONG de protection de l’environnement, comme Greenpeace ou le WWF, se double d’effets néfastes pour la santé. Car l’huile de palme, extraite par pression à chaud de la pulpe des fruits du palmier à huile, est une graisse naturellement hydrogénée, ce qui témoigne de la présence d’un fort pourcentage d’acides gras saturés (50 % environ), réputés être la cause de maladies cardio-vasculaires. Même si Alain Rival, spécialiste du palmier à huile au Cirad (Centre d’Information et de Recherche Agronomique pour le Développement), modère cette dangerosité en précisant que « de récentes études scientifiques ont établi que les acides gras saturés contenus dans l’huile de palme ne sont pas métabolisés au cours de la digestion » Et la relativise en rappelant que « Le beurre de cacao contient 60 % d’acides gras saturés, il est également naturellement hydrogéné. Mais personne ne dit qu’il est mauvais pour la santé d’en consommer ! »
Impact des palmiers à huile sur les forêts indonésiennes
source WWF_France.
Des produits sans huile de palme ?
Sous la pression des ONG et de l’opinion publique, les industriels ont commencé à bouger. Fin mars 2010, la marque Casino a officiellement annoncé qu’elle cessait d’inclure l’huile de palme dans ses produits alimentaires, en raison de ses risques pour la santé et de son impact sur l’environnement. De même pour Cadbury. D’autres firmes ont montré leurs préoccupations : Nestlé (que Greenpeace avait peu avant épinglé au travers d’une fausse pub montrant un jeune cadre croquant dans un kitkat et se retrouvant…la bouche pleine du sang d’orang-outans morts pour quelques lopins de palmeraies …) et Unilever se sont ainsi engagées à n’utiliser que de l’huile de palme certifiée durable d’ici 2012 à 2015. D’autres en revanche font la sourde oreille. Comme l’italien Ferrero, qui n’a pris aucune mesure pour modifier la composition de son Nutella mais pourrait se voir dans l’obligation d’apposer sur ses pots l’étiquette « Nuit gravement à la santé », dans le cadre du prochain règlement européen de lutte contre l’obésité !…L’Union Européenne elle-même a dénoncé au début de cet été la composition nutritionnelle de cette pâte à tartiner faite à 60% d’huile de palme et de sucres (sans que l’on puisse d’ailleurs déterminer la part respective de l’un et de l’autre, secret industriel oblige !). Mais on ne touche pas impunément à de tels symboles produits à 235 000 Tonnes chaque année ! Un député du parti de la Ligue du Nord de l’Italie s’est même empressé de fonder un comité « Touche pas à mon Nutella »… Enfin, selon le classement 2008 du Palm Oil Buyers’ Scorecard du WWF, de nombreuses entreprises françaises n’ont toujours pris aucun engagement pour revoir leur politique d’achat : Auchan, Brioche Pasquier, Les Mousquetaires (Intermarché) et Magasin U.
Bio ? vous avez dit bio ?
Que penser dans ce contexte de l’huile de palme biologique ? Oui vous avez bien lu. Début 2010, l’organisme de certification Ecocert a en effet pu labelliser une huile de palme biologique ! Car, d’après le nouveau règlement européen, la déforestation n’est pas un critère permettant de refuser la certification AB ! Il est vrai qu’ Ecocert, financé par les pouvoirs publics, a dans le même temps saisi la Commission Européenne pour lui demander de se positionner sur la production d’huile de palme biologique : l’article 5 du Règlement CE 834/2007 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques (CE) stipule en effet qu’il faut « tenir compte de l’équilibre écologique local ou régional dans le cadre des décisions en matière de production » … Mais même si Ecocert devance déjà toutes les critiques en se dotant d’un référentiel ESR (Equitable Solidaire et Responsable), intègrant des exigences strictes de respect de la biodiversité et de la dignité humaine, laissant espérer une amélioration des conditions de production de cette huile, la certification d’un tel produit peut-elle seulement prétendre suffire à laver notre conscience de consommateur ?
Paru dans Alternative Santé octobre 2010