Dans la salle de la mairie, le représentant des autorités locales ouvre la réunion avec les familles productrices de quinoa du district indigène écologique n°3, l’un des derniers et plus petits groupements (8 familles seulement) à avoir rejoint l’ANAPQUI, Association Nationale des Producteurs de Quinoa. Pour ouvrir la réunion , on commence par faire tourner l’alcool potable à 96°. Pour un Aymara, l’alcool doit être pur! On verse un peu d’alcool au sol, délicatement, en bouchant d’un doigt le goulot de la bouteille( en plastique et de format identique à une bouteille d’eau de javel ! ) , puis on en ingurgite une gorgée (ou on mouille juste ses lèvres…c’est tellement fort!) . Si encore il n’y avait qu’une bouteille! mais non, pour la Pachamama, la terre mère, chaque famille a aussi sa bouteille, plus petite, plutôt format eau de toilette cette fois, et la fait tourner. Puis , on distribue les feuilles de coca, dans les deux mains, toujours. Car c’est des deux mains qu’on reçoit traditionnellement, pas d’une seule. Les chefs ont en plus du ljari, un résidu de cendres très dur qu’ils croquent tout en mâchant les feuilles. ça ressemble à un gros caillou gris et ça fait le même bruit quand on croque dedans. le Ljari donne de la vitalité, normal, la cendre alcaline aide à extraire les alcaloïdes de la coca, qui en contient pas moins de 13 (alors qu’un seul sert à faire la cocaïne) , c’est dire si la plante sacrée est riche. À 4000m d’altitude, un tel rituel augure une réunion cordiale. Chacun se présente. Pour que ce soit plus simple, les gens d’AVSF m’invitent à me présenter comme l’un des leurs. Bien sûr suivre une réunion en espagnol quand on ne parle pas la langue n’est pas des plus faciles, et la traduction simultanée serait mal venue. J’arrive à peu près à suivre, la communauté a présenté ses activités par un diaporama très didactique qui présente les conditions de culture, leurs intentions. La raison de la présence d’AVSF ici, c’est une étude commanditée par la plate forme du commerce équitable qui vise à évaluer l’équité du commerce de la quinoa. L’enquête est menée par Romain, d’AVSF Pérou, spécialiste du commerce équitable de la mangue et de la banane. Vers 11h30, les trois femmes assises dans le fond s’endorment sans vergogne ! Avant de se réveiller à la fin, et d’agréer tout ce qu’on dit, comme un bel exemple de communautarisme participatif. Puis, nous sommes invités à manger. Au menu, quinoa cuite à l’eau comme il faut, légumes et viande de lama bouillie. C’est très bon. Je mourrai de faim, n’ayant grignoté que du fromage depuis la veille (partie en bus à 13h30 la veille , je n’avais mangé que des conneries du genre gateaux et coca-coloa).
Puis, l’après midi, nous avons visité les terres de cette communauté. Et avons pu constater qu’ils utilisaient la tholla pour régénérer les sols, la laissant en place durant 2 ans, ne cultivant donc la quinoa qu’une année sur 3, qu’ils utilisaient aussi des plantes vivaces comme la lampaya , plante médicinale souveraine contre les coups de froid et au goût délicieux .
En répétant bien le mot de llampaya pour le noter dans mon carnet j’ai d’ailleurs fait gentiment rire toute la communauté aymara, qui a un son guttural inimitable , pour moi tout du moins, sur les “a “). Quant à la culture de la quinoa, nous avons vu qu’ils en cultivaient de la rouge, de la noire et de la blanche, les trois principales sortes parmi les plus de 180 recensées par l’université de (zut! je n’ai pas noté laquelle!) .
Le problème est posé : si la gestion durable des sols est un objectif affirmé de coopératives comme l’ANAPQUI qui regroupe aujourd’hui plus de 1500 familles sur tout l’altiplano , avec un cahier des charges très serré sur la régénération des sols, une culture trisannuelle, l’absence d’intrants, une agriculture respectueuse des hommes et de l’environnement, l’explosion récente des cours de la quinoa sur le marché international (cours qui sont fixés d’ailleurs tous les samedis au marché de …challapata…) a amené certains industriels peu scrupuleux et peu soucieux du devenir des terres et des hommes de l’altiplano à soudoyer certains petits producteurs à sortir des cahiers des charges très serrés de l’ANAPQUI en leur offrant le même prix d’achat de leurs productions. Tel est par exemple, l’industriel français Jatari, qui fournit par exemple le groupe Carrefour…
Bref, j’apprends que le commerce équitable n’est pas une question de prix juste aux producteurs, à la manière du el gringo de jacques vabre. Mais que ce qui est vraiment le commerce équitable, c’est le développement économique global de la région de production.
Nous essayons aux alentours de Salinas de rencontrer de ces petits producteurs , mais c’est difficile pour les petits producteurs qui traitent directement avec Jatari d’avouer cela (l’enrichissement personnel sont plutôt mal vu des communautés aymara).
Et puis la police municipale nous surveille, se demande se que fout la gringa avec son appareil photo.
Les chiens deviennent hostile. Je vois un troupeau gigantesque de lama rentrer des pâtures, mais c’est déjà trop sombre pour le prendre en photos.
Nous arrivons à l’écolodge de Salinas, un joli espace tout aménagé en bois de cactus. ça aussi c’est une découverte. Des meubles en bois de cactus, très jolis, on voit les trous laissés aux emplacements des épines, très esthétique…. Dîner et…dodo. Dans une chambre sans un poil de chauffage , brrr, je suis bien contente d’avoir mon duvet.