La crise du sommeil

La qualité de notre sommeil est une question de santé essentielle, et même une préoccupation de santé publique : notre bien-être dépend de notre repos quotidien et ceux qui souffrent de troubles du sommeil savent qu’il est inconfortable et préoccupant de mal dormir. D’autant plus que l’on sait, depuis peu, que les perturbations de notre sommeil peuvent avoir des répercussions sur l’émergence de certaines maladies !

Le sommeil et ses troubles sont entrés dans les préoccupations de nos hommes politiques. L’affaire est encore neuve, puisque ce n’est qu’en mars 2007 qu’est paru le rapport d’experts sur le thème du sommeil (1), suscitant ce commentaire explicite du ministre de la Santé de l’époque, Xavier Bertrand : « Ce n’est pas normal de mal dormir » !

Que s’est-il donc passé ? Les troubles du sommeil seraient-ils devenus tout d’un coup devenus plus graves ou plus nombreux ? Pas du tout !     « Nous faisions déjà depuis longtemps une travail de communication et d’alerte autour de cette problématique importante en santé publique, mais jusqu’à présent sans être écouté ! » explique le Dr Sylvie Royant-Parola, spécialiste du sommeil et présidente du Réseau Morphée. La  médecine du sommeil est certes encore jeune (à peine un siècle), mais elle commence à disposer de chiffres qui font état de l’étendue du problème…et donnent l’alerte!

Insomnie, manque de sommeil  et autres troubles…

Le rapport constate ainsi que près de 10% des français sont atteints d’insomnie chronique. En 2008, une enquête, réalisée pour le compte de l’Institut National pour l’Education et la Prévention En Santé (INPES) (2) , a établi que parmi les jeunes adultes, âgés de 25 à 45 ans, 12 % déclaraient souffrir d’insomnie et 17 % accumuler une dette chronique de sommeil.

Bien sûr,  nous sommes loin d’être tous égaux devant le sommeil. Nous n’avons pas forcément besoin de la même quantité de sommeil, et nous n’avons pas non plus les mêmes horaires. Les « gros dormeurs »   ont besoin de 9-12 heures de sommeil par nuit , et les « petits dormeurs », plus rares (ils ne seraient que 5-10% de la population), se contentent de 4-6 heures de sommeil. Entre ces 2 extrêmes, la moyenne nationale se situe à 7 heures. Les jeunes adultes , selon le sondage de  l’INPES, ne dorment   pour leur part que 5h48 par nuit en moyenne. Concernant les horaires de coucher, on connaît bien les « couche-tard » (vers 2-3h du matin) qui se distinguent des « couche-tôt » (avant minuit) et là encore nous sommes loin d’être égaux : il a par exemple été démontré qu’un couche tôt qui se couche tard, même en dormant le même nombre d’heures que d’habitude, perd en qualité de sommeil ! Une autre inégalité face au sommeil réside tout simplement…dans l’âge que nous avons ! Nous n’avons pas les mêmes besoins en sommeil tout au long de notre vie. (voir encadré) Il n’en reste pas moins que les études concluent toutes de façon indéniable qu’un français sur trois souffre de troubles du sommeil et plus spécifiquement 45 % des jeunes adultes considèrent  tout simplement ne pas dormir assez.

Les troubles du sommeil ne se limitent pas à de l’insomnie ou à des difficultés d’endormissement. Au cours de ces trente dernières années, deux pathologies associées au sommeil, ont été repérées par les spécialistes: le syndrome d’apnée du sommeil  et le syndrome des jambes sans repos.  « Là encore, cela a mis du temps. Je me souviens que lors des premières réunions avec les caisses d’assurance maladie, on nous suspectait de créer  de fausses pathologies sous l’influence des  laboratoires  pharmaceutiques! »  se souvient Sylvie Royant-Parola.


Le syndrome des jambes sans repos concerne 2,5 % des adultes. Il se caractérise pas deux manifestations principales,  localisées dans  les membres inférieurs : des « impatiences », voire des douleurs et des  mouvements involontaires périodiques. Les impatiences surviennent le soir ou la nuit, favorisées par l’immobilité et soulagées en partie par le mouvement. Les mouvements involontaires se manifestent par une flexion du pied et des orteils  au cours du sommeil, sans que la personne n’en ait   conscience . Le mécanisme  de ce syndrome reste  méconnu , plusieurs pistes sont évoquées : activité insuffisante de certains neurones, carence en fer, insuffisance rénale ou encore diabète…Les traitements sont médicamenteux essentiellement à base de substances qui apportent de la dopamine.

Les apnées du sommeil  affectent environ 4 % des hommes et 2 % des femmes. Elles sont plus fréquentes après 50 ans et sont souvent  associées à de  l’hypertension artérielle et à des  atteintes cardiovasculaires. Elles sont dues à l’obstruction du pharynx   provoquant  un arrêt de la respiration jusqu’à l’éveil du dormeur. Le diagnostic, suspecté notamment en cas de ronflements très bruyants, ou de symptômes divers ( impression de ne pas avoir “récupéré” pendant la nuit, troubles de la mémoire et de l’attention, irritabilité, baisse de la libido…) est confirmé par un enregistrement  du sommeil et différents tests. Différentes solutions existent pour lutter contre cette pathologie : supprimer l’alcool le soir, limiter si possible certains médicaments, perdre du poids, porter un appareil dentaire et surtout appliquer un masque nasal empêchant ainsi le ronflement et la fermeture du pharynx.

 Les troubles du  sommeil des français

Somnolence diurne excessive : 8%

Mauvais sommeil : 20 à 30%

Insomnie modérée : 15-20%

Insomnie sévère : 9-10%

Syndrome des jambes sans repos : 8,4%

Syndrome d’apnées du sommeil : 5-7% (15% des plus de 70 ans)

 

 Le sommeil et ses âges

nourrisson : 16 à 17 heures

3- 5 ans :  12 heures

 6 -11 ans : 10 heures

à partir de 12 ans : 9 heures

adulte : 7 heures

personnes âgées ou personnes inactives : moins de 7 heures

 

Des conséquences majeures pour la santé

Sans même parler de la consommation importante de somnifères que les troubles du sommeil peuvent entraîner, lorsque l’on n’arrive pas à dormir la nuit, ou que l’on ne dort pas assez, ou mal, on rattrape sa fatigue …en dormant la journée ! Cette somnolence diurne  excessive affecte, toujours selon le rapport sur le sommeil des français, 2,5 millions de personnes. Elle est donc une cause importante d’accidents du travail, d’accidents domestiques  et d’accidents de la route. « 30% des accidents mortels sur la route  sont liés à une somnolence au volant! » rappelle le Dr Sylvie Royant-Parola. De plus, sur un plan physiologique, un mauvais sommeil a également bien d’autres répercussions délétères, puisqu’il est établi qu’il perturbe notamment la reconstitution des stocks énergétiques des cellules musculaires et nerveuses, la production de l’hormone  de croissance, la régulation de la glycémie (risque de surpoids et de diabète), l’élimination des toxines, les défenses immunitaires, l’humeur et l’adaptation au  stress, l’apprentissage et la mémorisation ! Enfin, on sait que les troubles de sommeil  sont l’un des éléments contributifs à d’autres problèmes de santé publique bien identifiés maintenant, tels que l’obésité ou les maladies cardiovasculaires !  

Le saviez-vous ? Si personne ne s’était   endormi … le Titanic n’aurait pas heurté l’iceberg qui l’a fait couler, la navette « Challenger » n’aurait pas explosé. Et  la catastrophe de Tchernobyl n’aurait peut-être pas eu lieu !

Travailler plus pour… dormir moins bien ?

Il a été établi  dès les années 90 que « certaines pathologies  peuvent se créer uniquement du fait de  rythmes de travail (rythmes décalés , horaires de travail de nuit ou horaires contraignants) auxquels la personne n’arrive pas à s’adapter, même après longtemps»  rappelle Sylvie Royant-Parola. Soumise à des horaires de travail variables, avec par exemple des alternances d’activités jour/nuit, l’ossature chronobiologique de l’individu se désorganise totalement, alors qu’elle est extrêmement importante pour son équilibre ! Bien sûr on peut penser aux 3×8 ou au travail de nuit. Mais il y a aussi le simple éloignement du lieu de travail qui impose des temps de trajets de plusieurs heures et donc bien souvent une privation de sommeil puisqu’elle impose de se lever plus tôt. Cependant, alors que le mal de dos est reconnu depuis peu comme maladie professionnelle, ce n’est pas le cas pour les troubles du sommeil. Lla médecine du travail a du mal à admettre le lien entre des difficultés d’endormissement ou troubles du sommeil sans autres troubles associés et l’organisation des horaires de travail : il est encore difficile  d’obtenir une incapacité liée à une inadaptation aux horaires de travail !

En dépit de l’éloge actuel qui est fait à l’hyperactivité dans la société, tout le monde continue donc d’avoir besoin de dormir…  et il est faux de considérer que l’organisme est capable de s’habituer à n’importe quel rythme. D’ailleurs, 52,5% des français attribuent leurs problèmes de sommeil au travail. Bien sûr, d’autres raisons que le travail sont aussi incriminées dans les troubles du sommeil : les facteurs psychologiques comme le stress ou l’anxiété (40 %), les enfants (27 %), les loisirs (21 %) et le temps de transport (17 %). Certaines pratiques, encore récentes, semblent être aussi largement associées à l’émergence des troubles du sommeil : selon  l’étude de l’INPES,  près d’un insomniaque sur deux et une personne en dette de sommeil sur deux surfent sur Internet ou jouent à des jeux vidéos !  Encore faut-il reconnaître les vraies causes de nos troubles du sommeil…et admettre  que  bien dormir  est un gage essentiel de bonne santé!

 

 

 

(1) Rapport sur le thème du sommeil, Ministère de la Santé et des Solidarités, décembre 2006

( 2) Enquête sur les  représentations, les attitudes, les connaissances et les pratiques du sommeil des jeunes adultes en France , Institut National du Sommeil et de la Vigilance , mars 2007

 

 

 

Sommeil et modes de vie 

 

Une interview du Dr Sylvie Royant-Parola, psychiatre et neurobiologiste,   présidente du Réseau Morphée.

Le travail peut-il nous empêcher de dormir?

C’est difficile à établir, la question rejoignant toute la notion de stress  et d’interaction liée à une entreprise : on ne peut pas être tout le temps sur un long fleuve tranquille ! Une entreprise qui vit a aussi tout ce qui fait la vie d’un individu : ses moments de bonheur, de grand développement, de crise … Et les individus qui y travaillent   vont aussi vivre en phase ou en décalé ce que va vivre l’entreprise. Pour l’instant, on connaît un élément vraiment délétère au niveau du sommeil : les ruptures de rythme de travail .

Et la crise économique ?

Là encore, c’est difficile à établir, tout simplement parce que le phénomène est trop récent ! Nous ne disposons pas pour l’instant d’éléments suffisants pour établir quoi que ce soit. Ce serait d’ailleurs compliqué : il faudrait que tous les six mois on recommence  le même type d’études. Et encore, ce n’est pas parce qu’ un lien statistique aurait pu être établi que l’on pourrait conclure…  On a tendance à voir plus de gens insomniaques, mais ce n’est pas parce que l’insomnie gagne du terrain : c’est parce que les gens osent probablement plus se plaindre de leur insomnie !

Qu’en est-il des «  ondes  électromagnétiques » ?

Les champs électromagnétiques induits ne semblent pas entraîner d’interférences notables avec le sommeil. Les seules interférences observées  l’ont été avec des champs magnétiques énormes. Il va sans dire que tout le monde ne dort pas dans une « bobine » électromagnétique ! Quant à l’étude européenne sur les lignes à haute tension, elle n’a pas encore été publiée et pour l’instant, les résultats ne montrent pas grand chose.   Quelques études ont également été menées sur l’impact du téléphone portable sur le sommeil , dont une, parue en 2008, qui montre moins de sommeil profond et un retard d’endormissement chez les utilisateurs de téléphone portable  dans un contexte de communication téléphonique très particulier (téléphone contre l’oreille  pendant 3 heures) , ce qui n’est pas le lot commun, sauf peut-être chez certains  adolescents le soir.  On sait aussi que passer trop de temps derrière l’ ordinateur perturbe le sommeil : La lumière forte émise par l’écran arrive directement sur la rétine dont les photorécepteurs, sensibles à l’intensité lumineuse, sont en lien direct avec notre horloge interne. Celle-ci va retarder la production de mélatonine, l’hormone qui nous permet de mesurer le temps, entraînant un retard d’endormissement avec un réveil plus tardif.

 

Existe-t-il d’autres facteurs environnementaux nuisibles pour notre sommeil ?

Il y a deux choses vraiment délétères : la chaleur et le bruit. Dormir à une température ambiante de plus de  30°C est vraiment très difficile, et des troubles du sommeil peuvent apparaître, notamment lorsque l’hygrométrie (le degré d’humidité de l’air ambiant) est insuffisante.   Quant au bruit, en dehors du tapage nocturne et des bruits de voisinage, qui peuvent nous empêcher de nous endormir,  ou des pleurs de nourrissons qui peuvent nous réveiller la nuit, des études ont montré très clairement que les bruits liés au décollage et à l’atterrissage des avions, entraînaient une activation cardiaque au cours du sommeil, c’est-à-dire que le rythme cardiaque du dormeur augmente, même si la personne ne perçoit plus le bruit.

ENCADRE : Se créer un bon environnement pour dormir

 

Les éléments  favorables  au sommeil

 

– une chambre agréable et rangée,

– une literie de qualité,

– le silence,

– l’obscurité,

– une température moyenne de la pièce,

– un état de détente 

Les éléments défavorables  

– présence d’enfants d’âge différent dans la même chambre,

– le bruit

– la lumière de la ville

– le désordre

– les équipements électriques, (télévision, ordinateur ) dans la chambre 

 

Quand faut-il s’inquiéter vraiment de son sommeil ? 

Ne pas dormir pendant 15 jours sur une période donnée, parce que l’on est face à un événement stressant ou que l’on est inquiet  est tout à fait  normal. Cela montre qu’on est préoccupé par une priorité qu’il faut pouvoir régler et qui  demande du temps. On prend ce temps sur le sommeil, ce qui n’est pas d’une efficience absolue, puisque moins on dort moins on est bien le lendemain ! On peut envisager une consultation spécialisée lorsque les troubles, quels qu’ils soient – difficultés d’endormissement, réveils en pleine nuit ou trop précoce le matin, sensation d’un sommeil non réparateur…- se reproduisent plus de trois fois par semaine sur une période qui dure plus de trois mois. Cela n’empêche pas bien entendu de s’occuper de son sommeil sans attendre,  mais si aucune solution n’améliore la situation au bout de trois mois,  on peut envisager une consultation spécialisée afin de chercher une autre cause plus spécifiquement liée au sommeil. L’enregistrement du sommeil n’est pas systémique, sauf en cas de suspicion d’apnées du sommeil, de mouvements pendant la nuit ou de  comportements curieux au cours du sommeil. Bien souvent, l’évaluation se fait au moyen de la tenue d’un agenda du sommeil, avec pour seuls outils du papier, et un crayon !

Peut-on guérir tous les troubles ?

Bien sûr que non ! Dans le sommeil, il existe beaucoup de  choses qui sont de l’ordre de la perception, donc de l’image que l’on se fait de son sommeil et  de la satisfaction  que l’on en a . Certains sont des éternels mécontents,   il s’avère que leur mécontentement s’est focalisé sur leur sommeil, mais cela aurait pu être sur autre chose ! Pour  ceux là , quoi que l’on fasse, rien ne pourra les améliorer!  

 

ENCADRE : Le Réseau Morphée

Le réseau Morphée regroupe différents professionnels de santé impliqués dans la prise en charge des troubles du sommeil. Cette association  à but non lucratif est un réseau de santé, monté voici deux ansqui s’est développé en 2004 dans une démarche , à titre expérimentale encouragée par les pouvoirs publics. Le réseau Morphée vise à aider le grand public à prendre conscience de ce que sont les troubles du sommeil au travers de conférences et d’animation au sein du réseau, des collectivités locales ou des écoles. Il organise aussi des ateliers du sommeil, permettant d’offrir une réponse directe aux gens qui souffrent de problèmes de sommeil. Ces ateliers leur apprennent à gérer leur sommeil différemment, afin d obtenir  une amélioration de l insomnie. Le’objectif est de responsabiliser les gens face à la prise en charge de leurs troubles du sommeil, et de favoriser l’interaction et la synergie entre tous les intervenants de la prise en charge : il propose un travail de coordination des soins, sous l’égide du médecin coordinateur, ainsi que des formations et des conseils aux  médecins, et plus globalement aux professionnels de santé pour les aider à trouver des réponses face aux troubles du sommei.   

Réseau Morphée – 2 grande Rue – 92380 GARCHES- Tél : 09 77 93 12 04 (de 14h à 17h) e-mail : contact@reseau-morphee.org / site web : http://www.reseau-morphee.org

 

 

ENCADRE : La journée du sommeil 2009

Le 18 mars s’est tenu la 9ème journée Nationale du sommeil organisée par l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance avec le soutien de la Société Française de Recherche et de Médecine du Sommeil et du Syndicat de la Médecine du Sommeil et de la Vigilance. Elle avait pour thème : SOMMEIL ET RYTHME DE VIE. À cette occasion, des centres du sommeil, répartis sur la France entière, ont comme chaque année ouvert leurs portes, avec la participation d’associations de malades pour accueillir, informer et sensibiliser le public sur les troubles du sommeil.  

 

Pour en savoir plus

ROYANT-PAROLA Sylvie « Comment retrouver le sommeil par soi-même », Editions Odile Jacob

Le site internet de Sylvie Royant-Parola :  http://www.royant-parola.fr/

 

 

 

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