Corée du Sud : non, le robot de la mairie de Gumi ne s’est pas suicidé!

L’intelligence artificielle explose… mais est-ce une excuse suffisante pour que les journalistes se laissent aller à la bêtise naturelle? À l’heure où l’on combat de manière si véhémente les fake news, ils ont, et dans le monde entier, rivalisé de débilité en évoquant l’histoire de ce « robot fonctionnaire municipal modèle à la mairie de Gumi, qui se serait suicidé, en se jetant dans les escaliers, victime de harcèlement au travail ou de Burn-out… »

Le 20 juin 2024, aux alentours de 16h, le robot de la mairie de Gumi a été retrouvé en pièces détachées au pied des escaliers allant du deuxième au premier étage (et réciproquement). Peu avant, les employés l’auraient vu « tourner en rond près de l’escalier, comme s’il y avait quelque chose »…. Le robot était en service depuis le mois d’août 2023. Mis au point par la société californienne Beat Robotics, il avait été construit dans l’ usine, Inbots, située à Gumi, ville industrielle du centre de la Corée du Sud qui aimerait devenir le fleuron de la robotique, prochain moteur de croissance économique du pays. Rapportée par le Daegu Ilbo le 23 juin, cette histoire a été reprise dans la presse mondiale, et notamment en France, où du tout premier article paru - celui du Parisien, au Figaro en passant par Libération … on a pu y lire une accumulation de conneries monumentales.

Un employé à part entière?
Première idiotie, les coréens considéraient le robot comme leur semblable, comme un employé municipal. Voici ce qu’écrit l’article du Parisien : « le robot avait tout d’un employé comme les autres depuis sa nomination août 2023. Il travaillait de 9 heures à 18 heures et possédait même sa propre carte d’agent de la fonction publique. À la différence d’autres androïdes cantonnés à un seul niveau, il pouvait appeler l’ascenseur et passer d’un étage à un autre. »
Notons l’utilisation du terme « androïde », qui désigne un robot d’ apparence humaine. Une simple photo  aurait levé l’ambiguïté, car ce robot n’a rien d’humain, et a fortiori ne saurait être confondu avec un employé municipal.

[Image générée par l'IA de Leonardo] La vraie image du robot est ici ( site du Daegu Ilbo)

C’était juste une machine achetée par la mairie, pour faire la navette entre les quatre étages de la mairie afin de distribuer courrier et documents administratifs entre les services , tout en diffusant sur son écran LCD les informations municipales. Si la machine était dotée d’un badge , comme les employés de la mairie, c’était - suffit de réfléchir un peu à comment marchent les ascenseurs dans les administrations ! - pour lui permettre de prendre l’ascenseur de manière autonome . D’ailleurs, comment peut-on écrire, s’agissant d’une machine, qu’il « travaillait » de 9 heures à 18 heures? En omettant de parler des vrais fonctionnaires ou techniciens humains qui devaient appuyer sur son bouton marche le matin, et le mettre en charge la nuit …

Une machine douée de « raison »?
Deuxième bêtise, il s’agirait d’un suicide, le premier suicide de robot recensé, et l’affaire ferait la une de tous les journaux en Corée. L’officielle et fiable (?) France Info n’hésite pas à nourrir le mensonge en concluant ainsi sa chronique : « la presse se demande très sérieusement et en première page : "pourquoi ce fonctionnaire assidu a agi de la sorte", ou encore "le travail était-il trop dur pour le robot ? ».  Que nenni si ce n’est à vouloir vraiment faire passer les coréens pour des idiots! Ou à confondre tout simplement «  une de journal » et « commentaire d’article » !
Car une chose est vraie : les internautes coréens se sont bel et bien déchaînés au bas de l’ article du Daegu Ilbo ! Grâce à DeepL, merveilleux logiciel de traduction, on peut saisir l’essence de ces commentaires défouloirs : « le robot s’est sûrement tué parce qu’il en avait eu marre d’avoir trop de travail » ; « l’enquête devra vérifier qu’il ne s’agit pas d’un cas de harcèlement » ; « C’est moi qui l’ai poussé par derrière »; «  Et voilà où passent nos impôts » ; « Il dort dans les escaliers, c’est logique, c’est le chef» ; « C’est sûrement un meurtre » ; « Que la ferraille repose en paix »

 [Image générée par l'IA de Leonardo] Le robot de la mairie de Gumi n'était pas un androïde. Et il ne s'est pas suicidé! La vraie image du robot après sa chute est ici  (site du Daegu Ilbo)

Je me souviens quand j’étais petite, ma mère avait une coccinelle rouge. Et je l’adorais, cette voiture (oui, c’était la voiture , pas l’insecte) . J’étais persuadée qu’elle était vivante… tout comme la Choupette d’un amour de coccinelle, le film produit par les studios Disney, l’un des premiers films que j’ai vu au cinéma. Un jour, j’avais 4- 5 ans, le moteur de la coccinelle rouge a lâché. Maman est venue me voir, et le monde s’est écroulé . J’ai tellement pleuré, elle était partie à la casse , on ne la reverrait jamais. Mais depuis, j’ai grandi. Et j’ai compris que les voitures n’ont rien de vivant, même s’il nous arrive de leur parler et même de les supplier pour qu’elles avancent. Et il en est a priori de même de toutes les machines…À ceux que le bon sens ne suffit pas à faire revenir sur terre, demandez donc à Chat GPT. Il vous confirmera qu’ un robot n’a pas de sentiments humains. Selon l’intelligence artificielle [que les journalistes feraient donc bien parfois de consulter! ], le fait que des employés aient vu le robot tourner sur lui-même est plutôt évocateur d’un bug ou d’une panne dans ses capteurs de géolocalisation que d’un questionnement existentiel ou d’une envie de se suicider. Et cela semble aussi exclure tout acte de sabotage, les employés n’ayant vu personne pousser la machine dans les escaliers…
Pourtant, le respectable (?) Figaro , sort ici grand gagnant entre tous des titres foireux, avec : «Il était l'un des nôtres» : en Corée du Sud, un robot fonctionnaire municipal se jette du haut d'un escalier» . Libération n’est pas en reste, misant de la même manière sur la dramaturgie putaclic, « En Corée du Sud, une enquête ouverte après la mystérieuse chute d’un robot "employé municipal"».

Accidentologie robotique
La chute de ce robot pourrait donc être assez aisément expliquée grâce à l’«  enquête menée pour connaître les causes exactes de la défaillance » . Mais ce qu’omettent tous les articles, c’est de dire que l’histoire a surtout conduit les employés de la mairie à exiger des mesures de sécurité plus grandes pour les protéger d’ accidents éventuels avec les robots. [On rappellera qu’il y a quelque temps, un travailleur est mort dans une usine de conserves, écrasé par un robot….]
En Corée du Sud, les robots semblent amenés à se déployer dans l’espace public : le maire de Gumi, Kim Jang-ho, avait d’ailleurs déclaré au Daegu Ilbo en août 2023 acquérir le « robot  » pour la municipalité en soutien à l’industrie locale pour encourager «  son extension du secteur privé (où elle est déjà très développée) au secteur de l'administration publique ».
La municipalité de Gumi a précisé suite à l'accident  qu’elle n’envisageait pas pour l’instant d’ acquérir d’ autre robot pour compenser la perte. Passée l’excitation première, liée au sentiment glorieux d’être partie prenante de la modernité, la mairie aurait déchanté assez vite : le robot s’est avéré plutôt décevant, étant en particulier trop lent à accomplir les tâches qu’on lui demandait…Alors, pour les 40 millions de wons que ça lui avait coûté (associé à un entretien technique de 20 millions de wons par an), la mairie préfère probablement revenir, finalement , à des ressources humaines plutôt que robotiques ! Reste à savoir qui peut bien vouloir faire à ce point passer les coréens pour des idiots…ou à comprendre pourquoi, à la banale vérité technologique, les sites de presse cherchent à ce point à faire du putaclic, avec un exotisme, certes difficilement vérifiable, qui ne fait que conforter ce vieux proverbe : "A beau mentir qui vient de loin "...

Le 14/07/2024 , Clara Delpas

On aurait pu rappeler à l'occasion

 

 Les 3 (+1) lois de la robotique d’Asimov
Ces lois , formulées par Isaac Asimov, auteur américain de science-fiction, dans le roman Cercle vicieux ( Runaround, 1942) et complétées dans Fondation ( Foundation and Earth, 1986) d’une quatrième loi, désignée comme Loi Zéro, fondent la charte éthique adoptée en 2007 par le gouvernement sud coréen pour le développement des robots.
1) Un robot ne peut pas nuire à un être humain. Ni, restant passif, le laisser exposé au danger.
2) Un robot doit obéir aux ordres de l’être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la Première Loi.
3) Un robot doit protéger sa propre existence tant que ça n’entre pas en conflit avec la Première ou la Deuxième Loi.
4) (loi Zéro) Un robot ne peut nuire à l’humanité ni laisser sans assistance l’humanité en danger.
Ces lois ne s’appliquent évidemment ni aux robots militaires, ni aux drones robotisés tueurs dirigeables à distance. Elles n’intègrent pas non plus le fait qu’un robot puisse défaillir et dérailler. Ni qu’on puisse le saboter.

Ou encore la difficile situation des travailleurs en Corée...

 

En 2023, le gouvernement sud-coréen a réduit la durée maximale légale du travail de 68 à 52 heures par semaine et mené une campagne visant à promouvoir l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Mais les habitudes culturelles et sociétales ont la vie dure. Le coût de la vie et les attentes des entreprises continuent à mettre le travail aux premières lignes, dans un environnement hautement compétitif. La pression que subissent les employés au travail pour atteindre leurs objectifs est énorme, entraînant des niveaux de stress élevés et un épuisement professionnel. La Corée du Sud a le taux de suicide le plus élevé des pays de l'OCDE.
Depuis juillet 2024, les travailleurs de Samsung, l'une des entreprises les plus importantes du pays, se sont mis en grève pour réclamer de meilleurs salaires et conditions de travail. Une grève qui serait apparemment historique…

 

 

 

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2024

Du rififi dans les AMM 26/06/2024 Alternative Santé

Covid long : quel bilan quatre ans après ? (p.9) 01/06/2024 Alternative Santé (dossier)

Covid long : un engrenage de causes… et d’effets (p.10-11) 01/06/2024 Alternative Santé (dossier)

Covid long : les remèdes naturels pour soulager (p.12-14) 01/06/2024 Alternative Santé (dossier)

Covid long : une difficile prise en charge (p.15) 01/06/2024 Alternative Santé (dossier)

Une petite partie? (p.30) 01/06/2024  Ivry ma ville

Oser apprendre (p.31) 01/05/2024 Ivry ma ville

Végétaux issus des NGT, enjeux, risques et perspectives (video 180mn) 02/04/2024 Webinaire AJE (Association des Journalistes de l’environnement)

Chaleur Humaine (p.30) 01/04/2024 Ivry ma ville

Yoga au Dojo (p.18) 01/03/2024 Ivry ma ville

La renommée de l’angélique de Niort (p.66-67) 01/02/2024 Plantes et Santé

L’odyssée d’un jeu (p.19) 01/02/2024 Ivry ma ville

2023

Pas de pitié pour les pigistes malades!

Inflation Rester bio malgré la crise (p.95)

le 1er novembre 2023 pour 60 millions de consommateurs Hors série PREMIERS PRIX

NB. Les rédactions sont sans pitié pour les pigistes malades…écrit au mois d’août, quand j’avais le covid et que j’étais en burn out, cet article, pourtant réécrit trois fois,  a été pudiquement signé « la rédaction ». Et payé à bas prix. Sympa. Je pourrais aussi mentionner  » Petits prix versus marques nationales le match des produits bruts » (p.42-47)que j’avais commencé à documenter (en particulier la recherche des produits) mais que je n’ai pas pu écrire, pour cause de Covid et de Burn Out (mais non écrit = non travaillé! et donc carrément non payé…)

 

Taï Chi : efficace contre la maladie de Parkinson

Le Taï Chi peut freiner les symptômes et les complications de la maladie de Parkinson pendant plusieurs années, révèle une étude publiée en ligne dans le Journal of Neurology Neurosurgery & Psychiatry, revue affiliée au BMJ (British Medical Journal).

Selon les résultats de l’étude, cette pratique est associée à une progression plus lente de la maladie et à une diminution des doses de médicaments nécessaires au fil du temps.
Deux groupes de patients atteints de la maladie de Parkinson ont été suivis pendant plus de 5 ans, de janvier 2016 à juin 2021 : le premier, de 147 patients, pratiquait le tai-chi deux fois par semaine pendant une heure, en suivant des cours pour améliorer leur technique. L’autre, de 187 patients, continuait de recevoir les soins habituels, mais ne pratiquait pas le tai-chi. Dans le groupe qui pratiquait le Tai chi, la progression de la maladie a été plus lente , la fonction cognitive s’est moins vite détériorée, le sommeil et la qualité de vie se sont continuellement améliorés, il y avait aussi moins de complications (dyskinésie, dystonie,hallucinations, troubles cognitifs légers,syndrome des jambes sans repos) , mais aussi de chutes,   vertiges et   douleurs dorsales.
Il ne s’agit certes que d’une étude d’observation (elle ne permet pas de déduire de liens de cause à effet) mais elle suggère que le Täi chi pourrait être associé à une progression plus lente de la maladie, et même conduire à l’administration de doses plus faibles de médicament…

Source :

Li G, Huang P, Cui S, et al Effect of long-term Tai Chi training on Parkinson’s disease: a 3.5-year follow-up cohort study

Apprendre à gérer l’anxiété, c’est possible !

Rencontre avec Frédéric Fanget

Frédéric Fanget est médecin psychiatre et psychothérapeute. Dans ses ouvrages, il popularise les résultats d’une psychologie scientifique et clinique reconnue valide par les meilleurs experts mondiaux. Le dernier en date, coécrit avec Catherine Meyer et illustré par Pauline Aubry, raconte, en bande dessinée, comment on peut apprendre à gérer son anxiété, sans médicament, grâce aux thérapies comportementales et cognitives (TCC)… Un livre salutaire en ces temps de crise sanitaire et environnementale, où les troubles anxieux explosent !

Frédéric Fanget, Catherine Meyer, Pauline Aubry, Le Club des anxieux qui se soignent, éditions Les Arènes, mars 2023

Le « club des anxieux qui se soignent », titre de votre ouvrage, existe-t-il ?

C’est évidemment une invention pour la BD ! Mais je précise que ce type de club existe, c’est d’ailleurs un lieu idéal pour permettre aux anxieux de se retrouver et d’échanger sur le sujet ! Agoraphobes, paniqueurs, grands ou petit anxieux s’y retrouvent. Ils constatent qu’ils ne sont pas tout seuls et se soignent. L’association Mediagora, présente dans plusieurs grandes villes de la métropole, a été fondée par des personnes souffrant ou ayant souffert d’anxiété. Elle s’adresse à tous les patients francophones via un réseau de correspondants. [Note1]

Que sait-on aujourd’hui des mécanismes en jeu dans l’anxiété ?

Dans l’anxiété, il se passe des choses d’un point de vue biologique au niveau du cerveau. On le sait depuis 30 ans, quand les gens sont dans des états anxieux sévères, la transmission de leur sérotonine est perturbée. La sérotonine, c’est l’hormone de l’émotion. C’est le neuromédiateur qui régule la peur, donc l’anxiété, mais aussi l’humeur dépressive, l’impulsivité, les phénomènes de compulsion… C’est un neuromédiateur central : sans lui, le cerveau ne marche pas bien ! En temps normal, comme tout neuromédiateur, la sérotonine migre le long des neurones, se transmettant de l’un à l’autre en franchissant les synapses, qui sont les espaces entre les terminaisons des neurones… Dans le cerveau d’un anxieux, la sérotonine est capturée, avant d’avoir pu franchir les synapses, par les récepteurs à la sérotonine situés au niveau des terminaisons des neurones présynaptiques : elle ne peut pas se diffuser comme elle le devrait. Cependant, on ne sait toujours pas si c’est une cause ou une conséquence de l’anxiété… Et par ailleurs, il n’y a pas que le biologique, il y a aussi le psychologique ! Je l’ai assez longuement détaillé dans la BD, l’anxiété est une maladie de l’anticipation et de la rumination. L’anxieux pathologique anticipe tout, il envisage tout à l’avance parce qu’il a peur de ne pas contrôler ce qui va lui arriver. Donc il rumine, dans sa tête, ça tourne en boucle parce qu’il a peur de ne pas savoir résoudre les problèmes — probablement au cours de sa vie, cela lui est déjà arrivé et il a perdu confiance en lui et dans ses capacités. Et il développe un deuxième facteur psychologique, qui est la surestimation des dangers. Si vous ne savez pas résoudre les problèmes et que vous avez peur de ne pas faire face aux choses, les choses vont vous faire de plus en plus peur…

Mais comme vous l’expliquez dans votre livre, l’anxiété est aussi une émotion normale, que tout un chacun éprouve face aux stresseurs … Quand est-elle considérée comme pathologique  ?

L’anxiété fait partie de la vie, et c’est aussi un moteur. À condition de pouvoir l’apprivoiser et de pouvoir supporter une petite dose d’angoisse. Lorsque l’anxiété dure au-delà de 50 minutes par jour et qu’elle est intense, il y a un envahissement cognitif, avec des pensées négatives qui vont agir sur notre corps. C’est psychique et somatique. Elle s’accompagne d’une gêne fonctionnelle majeure (vous ne pouvez plus travailler, vous êtes incapable de vous déplacer normalement) … Il y a aussi un retentissement social. Les grands anxieux sont handicapés dans leur quotidien. On considère qu’une anxiété qui s’accompagne d’évitements de situations importantes pour vous (déplacements, rencontres, …) et qui a des répercussions majeures sur votre vie sociale, intime et professionnelle, est pathologique. Si elle n’est pas prise en charge, non seulement elle ne va pas diminuer, mais elle risque de s’accompagner de complications comme des addictions, des dépressions et une association avec un autre trouble anxieux…

Comment traite-t-on ces anxiétés dites sévères ?

La mise au point de molécules ressemblant à la sérotonine et capables de se fixer sur les récepteurs à la sérotonine ou « inhibiteurs de la recapture de la sérotonine » (IRS) a permis de développer un traitement de fond médicamenteux. Les IRS permettent à la sérotonine naturelle d’être transmise de neurone à neurone sans être « court-circuitée » par les récepteurs On ajoute une thérapie comportementale et cognitive afin de donner au patient les moyens de gérer ses angoisses. Le patient va apprendre des méthodes corporelles, comme la relaxation musculaire ou la cohérence cardiaque par exemple, et des méthodes de gestion de la pensée grâce à la thérapie cognitive. Et, à la fin de sa thérapie, quand il sera devenu autonome par rapport à la gestion de ses angoisses, il n’aura pas toujours besoin d’un médicament extérieur, même pas d’une plante d’ailleurs, car il saura adopter des comportements anti-anxieux ! À ce moment il sera temps d’arrêter progressivement le médicament pour les patients pour qui ce sera possible.

Bien sûr tous les cas sont différents, on travaille sur des schémas cognitifs, mais l’idée est d’apprendre à modifier ses comportements, ses pensées négatives et à gérer ses émotions.  Pour beaucoup de patients, cela va être suffisant. Chez certains, des problèmes plus graves, comme des traumatismes infantiles par exemple, nécessiteront une prise en charge plus longue en psychothérapie. Mais dans l’ensemble, les thérapies comportementales et cognitives, qui sont validées par de nombreuses études dans le traitement de l’anxiété, restent des thérapies brèves qui visent à rendre le patient autonome — et non, comme dans la psychanalyse, à le rendre dépendant de la thérapie !

Que penser des « anxiolytiques » ou encore des plantes réputées « apaisantes » ?

Les anxiolytiques n’ont pas de place dans le traitement à long terme de l’anxiété. Ces benzodiazépines n’agissent pas sur la sérotonine, mais sur le GABA, un système freinateur ! Leur effet calmant s’accompagne d’effets indésirables et d’un risque d’accoutumance. Et puis si vous prenez un anxiolytique dès que vous êtes confronté à un événement angoissant, vous alimentez le fonctionnement en « tout ou rien » (« Je n’agis que si je n’ai aucune peur ») dont la thérapie essaie de vous sortir ! Endormir la peur est contre-productif.

Quant aux plantes, c’est très insuffisant pour soulager les anxiétés sévères que je traite !   Et puis ce qui m’ennuie aussi, c’est que c’est un peu comme avec les anxiolytiques, cela donne l’impression que la solution vient de l’extérieur.  Or ce que nous essayons de faire, c’est d’apprendre aux patients à gérer eux-mêmes leur anxiété, grâce à des solutions comportementales, émotionnelles et cognitives. Au final,dans un certain nombre de cas les gens n’ont plus besoin de rien, ils n’ont plus besoin ni de médicaments, ni de plantes ni d’anxiolytiques ni de boire ni de consommer des drogues ! Il est ici très important de souligner que le corps et l’esprit sont liés !   Plusieurs études montrent d’ailleurs que les thérapies comportementales et cognitives données à des patients qui ont des phobies ou encore des troubles obsessionnels compulsifs modifient leurs flux sanguins cérébraux. On l’observe sur les PET scans, le psychisme modifie le cerveau ! C’est un organe plastique ouvert sur le monde…

Mais au fait, qu’en est-il de l’écoanxiété dont on parle de plus en plus avec l’urgence écologique… et dont vous ne parlez pas du tout dans votre livre ?

Je pense qu’on devrait plutôt parler d’écostress que d’écoanxiété ! Mais c’est un thème un peu délicat, vite sujet à polémique … Les problèmes écologiques, mais aussi la guerre en Ukraine, une maladie grave qui vient de vous être diagnostiquée, ou encore le décès d’un de vos proches, génèrent de l’angoisse chez monsieur et madame tout le monde. Pour autant je refuse de dire que l’écologie peut être à l’origine d’une « écoanxiété » : ce que je vois simplement, c’est qu’il y a des anxieux qui polarisent tout sur l’écologie. L’écologie devient pour eux une obsession et ils ne voient plus les autres facteurs d’anxiété ! Mais l’éco-anxieux risque plutôt de se faire écraser par une voiture parce qu’il n’aura pas fait attention en traversant la rue ou qu’il sera en train de lire ses tweets ou téléphoner à ses amis pour aller à la prochaine manif’! Dès que vous zoomez sur un thème, vous ne voyez plus ce qu’il y a tout autour ! Je pense que, probablement, ceux qu’on qualifie d’« écoanxieux » ont un terrain anxieux préalable. Et que se dire « écoanxieux » est socialement bien plus acceptable que de reconnaître qu’en fait on présente un trouble anxieux …

Certains de mes collègues disent « l’écoanxiété n’est pas une maladie, c’est un phénomène normal, c’est un problème politique. » Mais moi, je suis psy, je ne suis pas politicien, je ne peux pas changer le monde … Je peux en revanche vous aider à changer votre rapport aux problèmes écologiques.  C’est la seule chose que je peux faire en thérapie, aider les gens à s’adapter au monde dans lequel ils vivent mais c’est déjà beaucoup…

 

[Note 1] Plus de précisions sur ce site, qui propose une carte interactive : https://mediagoras.fr]

Sur le terrain…

J’ai eu l’occasion de faire plusieurs reportages à l’étranger, pour Libération, Science Actualités (Cité des Sciences) ou Novethic…

En Bolivie,   les pollutions minières, la culture du quinoa, l’origine de la maladie de Chagas, le développement de la culture de la stevia, l’adaptation des cultures viticoles à l’altitude et au changement climatique, ainsi que la Cumbre, ce contre-sommet pour le climat organisé par Evo Moralès à la suite du Flop de Copenhague, m’ont bien occupé en 2009 et 2010.

En Inde, en 2011, je me suis intéressé  au greenwashing gouvernemental,   notamment à l’exploitation d’une mine de diamant en pleine réserve naturelle…, ainsi qu’à  la pollution du Gange à Vanarasi (Bénarès), ville où tout indien rêve de se faire incinérer …

En Islande, en 2012, j’ai enquêté sur l’exploitation des ressources géothermiques  par les fonderies d’aluminium (et les pollutions environnementales qui en ont découlé) et j’ai cherché des traces de « la crise de 2008 » où les islandais avaient soi-disant mis leurs banquiers en prison, incarnant un modèle de justice sociale allant jusqu’à la réécriture démocratique de leur constitution …

Au Japon, en 2014, il s’agissait évidemment des conséquences de l’accident nucléaire de Fukushima…

Inde

Islande

Japon

 

Les mines de Bolivie

Turquie

La petite histoire du Paxlovid, remède miracle de la Covid-19…et son flop

Covid oblige, les médicaments battent tous les records de vitesse dans leur mise au point. Ainsi du Paxlovid de Pfizer, développé en 12 mois. Mais, présenté comme un remède miracle contre les formes graves, (et aujourd’hui le seul, les anticorps monoclonaux ayant été abandonnés) il a fait un flop en Europe et aux États unis. On vous raconte son histoire.  

 L’histoire de la découverte étonnante du Paxlovid démarre le vendredi 13 mars 2020. Ce jour-là, les laboratoires Pfizer de Cambridge dans le Massachusetts ferment pour cause de pandémie, et ils renvoient leurs salariés chez eux. Parmi eux, le directeur du département de chimie médicale, Dafydd Owen, est invité à réfléchir aux ressources dont il aurait besoin pour diriger un programme de développement d’un médicament oral pour lutter contre la pandémie émergente. Depuis 20 ans qu’il est chez Pfizer, d’abord sur le site de Sandwich, en Angleterre, puis depuis 2011, aux États-Unis, Dafydd Owen n’a encore jamais travaillé sur un tel médicament — il n’a pour l’heure exercé ses talents de chimiste que dans des programmes menés en oncologie, gestion de la douleur et maladies cardiovasculaires. Mais il se sent prêt à relever ce défi, d’autant que le terrain a déjà été défriché par d’autres chercheurs, et pas qu’un peu : en 2003, ils ont mis au point un antiviral, le PF-00835231, capable de bloquer la réplication d’un autre coronavirus, le SARS-Cov1, alors responsable d’une épidémie de SRAS. Le développement du médicament avait été stoppé net, n’ayant pu être testé sur les patients puisque l’épidémie s’était alors arrêtée aussi vite qu’elle était apparue ! L’épidémie de Covid-19 due au SARS-Cov2 était une bonne occasion de ressortir la molécule du placard… et de l’améliorer. Car le PF-00835231 ne peut être administré que par voie intraveineuse, à l’hôpital donc. Le laboratoire ambitionne de mettre au point un traitement par voie orale. Mais il faut résoudre un problème majeur de chimie car    le PF-00835231 est dégradé dans l’intestin. Dafydd Owen modifie sa formule, lui ajoutant du trifluoroacétamide pour l’empêcher de se dégrader dans l’intestin, ainsi qu’une molécule de nitrile, très facile à fabriquer et permettant de garantir la biodisponibilité orale du médicament.

Un développement record

C’est ainsi que le 22 juillet 2020, les chimistes de Pfizer synthétisent pour la première fois le PF-07321332 ou  nirmatrelvir. Après avoir montré sa bonne activité antivirale contre le SRAS-CoV-2 in vitro, ils le testent chez le rat : le 1er septembre 2020, les résultats de l’étude pharmacocinétique montrent qu’ils sont sur la bonne voie. Pour fabriquer leur candidat antiviral, l’équipe combine alors le PF-07321332 avec le ritonavir, un antiviral utilisé pour traiter le VIH et l’hépatite C. Ce dernier n’a aucune action contre le SRAS-CoV-2, mais en se liant aux enzymes métaboliques de l’intestin, il les empêche de dégrader le PF-07321332, lui permettant de franchir la barrière intestinale et d’aller bloquer le virus partout où il se trouve, en se liant à la protéase qui lui permet de se répliquer. Le Paxlovid, combinaison de nirmatrelvir et de ritonavir, est né. Début novembre 2020, les études toxicologiques démarrent, avec 1,4 kg du médicament, fabriqué par les chimistes. Et en à peine un an, le développement du médicament est achevé, essais cliniques sur l’homme compris : un temps record ! Dès novembre 2021, Pfizer annonce que le Paxlovid réduit le risque d’hospitalisation et de décès de 88 % chez les adultes à risque. C’est bien plus que son concurrent de chez Merck, le Molnupiravir, en attente alors d’être mis sur le marché. Lui ne réduit a priori ce risque que de 50 % (et en réalité, comme le montrèrent peu après les études, plutôt de 30 %…). Il sera d’ailleurs dès le 9 décembre 2021 recalé en France par la haute autorité de santé, malgré l’avis favorable des autorités européennes. La précommande de 50 000 doses qui avait été faite par Véran fin novembre s’est  d’ailleurs trouvée peu après annulée !

Le Paxlovid est promis à un meilleur avenir : la FDA émet une autorisation d’utilisation d’urgence et dès le mois de janvier 2022, le gouvernement américain commande de quoi traiter 20 millions de personnes. L’Europe suit peu après, et avec elle la France, qui en commande quelque 500 000 doses (soit 10 fois plus que de Molnupiravir !).

… mais des espoirs vite déçus

Le médicament miracle est surtout une manne pour le Laboratoire Pfizer : sa vente lui permet d’engranger 19 milliards de dollars en 2022, avec quelques 27 millions de doses de vendues…   En France,  500 000 doses sont précommandées pour un coût de près de 250 millions d’euros… Pour les pays qui en ont acheté, c’est vite la désillusion : la prescription est terriblement compliquée, devant se faire dans les cinq jours qui suivent les premiers symptômes — ce qui impose un système de tests efficace et opérationnel.   La liste des interactions médicamenteuses est considérable, par exemple avec les statines. Les effets secondaires imposent souvent l’arrêt prématuré du traitement. Son efficacité laisse à désirer : Joe Biden contractant le Covid au début de l’été lui fait une très mauvaise publicité ; traité par le Paxlovid, voilà qu’il est testé quelques jours plus tard à nouveau positif au Covid ! Un « effet rebond » fréquent mais quelque peu problématique… Les spécialistes ont beau s’empresser de relativiser la chose en disant que c’est toujours moins grave que de se retrouver à l’hôpital ou de mourir, on se méfie de cette « pilule miracle » qui donne en plus mauvais goût à la nourriture et n’empêche pas la transmission de la maladie… mais surtout, fin août 2022, une étude israélienne menée sur 109 000 patients montre que le traitement ne réduit les hospitalisations que chez les plus de 65 ans (et de 75 %, pas de 88 %…). Chez les plus jeunes, âgés de 40 à 65 ans, son administration n’est d’aucun bénéfice ! Malgré ces éléments, les autorités sanitaires françaises ont décidé d’encourager la prescription de ce médicament auprès des personnes à risque ayant contracté le Covid, âgées de plus de 65 ans ou, plus jeunes mais présentant des facteurs de risque.

Il faut dire que selon l’enquête Epi-Phare parue fin octobre, seules 54 181 doses ont été écoulées… Fin novembre, le Pr Brigitte Autran, l’immunologiste à la tête du comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) pour encourager les médecins à le prescrire fait la promotion du médicament   sur France 2  En décembre, les modalités de délivrance du Paxlovid sont même facilitées,  les pharmacies d’officine  étant autorisées à « disposer d’un stock d’avance d’une ou deux boîtes de Paxlovid issues du stock État » (DGS-Urgent 22 décembre).  Les près de 1300 personnes qui sont toujours en réanimation ou en soins critiques dans l’Hexagone en raison du Covid au 11 janvier auraient-elles pu éviter de se retrouver là si  elles avaient pu recevoir du Paxlovid ? Nul ne le sait, mais il est sûr que l’ accès facilité et toutes ces doses disponibles ont  attiré de nombreuses convoitises, épidémie en Chine oblige !  Car c’est un trafic inédit qui se déroule désormais, par l’entremise d’ordonnances étrangères mais aussi parait-il de fausses prescriptions de médecins généralistes français, notamment en Île-de-France, dans le Grand Est ou encore en région PACA, selon les informations du syndicat des pharmaciens d’officine. Certaines pharmacies  écouleraient ainsi  chaque semaine des centaines de boîtes de Paxlovid.  L’Allemagne et les pays asiatiques seraient les destinations de ces produits que les trafiquants n’hésiteraient pas à monnayer 200 euros la boîte sur place, alors qu’elles sont vendues  dans les  pharmacies françaises à moins de 4 euros remboursables par la Sécurité sociale aux patients…Voici comment un traitement miracle que l’on voudrait donner chez nous  à ceux qui sont pourtant normalement déjà   protégés par la vaccination devrait finir au bout du compte   dans des pays comme la Chine où les vaccins se sont révélés au mieux inefficaces au pire inexistants…